Un « gilet jaune » est mort, jeudi 20 décembre, dans la commune du Passage, en banlieue d’Agen (Lot-et-Garonne). Olivier Daurelle, 60 ans, a été renversé par un poids lourd à proximité d’un rond-point où les manifestants avaient mis en place un barrage filtrant. Lui venait d’un autre rond-point, celui du Campanile de Villeneuve-sur-Lot, situé 30 kilomètres plus au nord. Jeudi matin, il était venu prêter main forte aux camarades du Passage, sur le point d’être délogés par les forces de l’ordre.

Après l’annonce de son décès, une centaine de personnes ont défilé en silence dans les rues de Villeneuve-sur-Lot derrière des banderoles « Gilets jaunes en deuil » et « Hommage à Olivier, citoyen français tombé pour la cause des gilets jaunes ». Olivier Daurelle est la neuvième personne à perdre la vie dans des circonstances liées au mouvement de contestation entamé le 17 novembre.

« Aucun décès n’est lié à des affrontements »

La première s’appelait Chantal Mazet, elle avait 63 ans. Cette manifestante a été tuée au premier jour de la mobilisation, au Pont-de-Beauvoisin (Savoie), percutée par une automobiliste prise de panique au milieu de la foule.

Deux jours plus tard à Portes-lès-Valence (Drôme), un motard de 37 ans remontant la file de véhicules créée par un barrage heurtait une camionnette qui faisait demi-tour face à l’embouteillage. Grièvement blessé, il est mort le lendemain.

Dans la nuit du 1er au 2 décembre à Arles (Bouches-du-Rhône), un automobiliste est entré de plein fouet dans un camion à l’arrêt qui patientait, phares éteints, dans l’interminable bouchon. Le 2 décembre à Marseille, une femme de 80 ans qui avait accidentellement reçu la veille, lors de « l’Acte III », une grenade lacrymogène au visage alors qu’elle fermait ses volets, mourait à l’hôpital, d’un arrêt cardiaque, sur la table d’opération.

Des « gilets jaunes » au Magny, près de Montceau-les-Mines, le 18 décembre 2018. / Arnaud Finistre / Hans Lucas pour «Le Monde»

Ont suivi les décès d’une jeune automobiliste dont la voiture s’est encastrée dans un camion à l’arrêt à Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) le 10 décembre ; d’un « gilet jaune » de 23 ans percuté par un poids lourd sur un rond-point d’Avignon (Vaucluse) le 13 décembre ; d’un conducteur quinquagénaire entré en collision avec un autre camion à l’arrêt à Erquelinnes, en Belgique – un blocage avait lieu du côté français de la frontière – le 14 décembre ; et le même jour, d’une femme de 44 ans, passagère d’un véhicule qui roulait à contre-sens du côté de Soissons (Aisne).

Neuf morts : le chiffre est rare pour un mouvement social. On pourrait le mettre en regard du total de sept morts à l’occasion de Mai-68 souvent avancé par les historiens, mais la comparaison est inepte : « Le mouvement des “gilets jaunes” génère des morts en nombre perturbant, mais c’est absolument incomparable, explique l’historienne Danielle Tartakowsky, spécialiste des mouvements sociaux. En l’occurrence, aucun décès n’est lié à des affrontements, que ce soit entre manifestants, ou entre forces de l’ordre et manifestants. » A une exception près, les personnes tuées l’ont été lors d’accidents de la route. Trois victimes sont des « gilets jaunes ». Les autres sont des automobilistes.

Une influence sur la suite du mouvement ?

« Ce mouvement n’est pas organisé, donc on ne peut pas en assurer la sécurité, résume Pascal Lalle, qui vient de céder son poste de directeur central de la sécurité publique au sein de la Police nationale. Pour ce faire, il faudrait que les gens respectent la loi, que les manifestations fassent l’objet d’une déclaration préalable, et que l’on ait un interlocuteur. »

« C’est très compliqué d’être partout à la fois, soupire le service communication de la Gendarmerie nationale. Des piétons se retrouvent là où ce n’est pas prévu, ils pensent que la route leur appartient et ne font plus attention. »

« Au bout de neuf morts, on ne parle plus d’accidents, on parle d’un risque inhérent à cette forme d’action », poursuit Danielle Tartakowsky, qui s’interroge : « Quelle influence ce risque peut-il avoir sur la poursuite du mouvement ? » Eric Drouet et Priscillia Ludosky, deux « gilets jaunes » parmi les plus médiatiques, n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde à ce sujet.

Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a pointé, jeudi, la « responsabilité grave » de ceux qui voudraient poursuivre le mouvement. Laurent Nuñez, son secrétaire d’Etat, évoquait mardi sur RMC une mobilisation « décroissante », autour de « 4 000 personnes sur les points de blocage ». Une crainte se fait jour du côté de la Gendarmerie nationale : « Qu’avec le temps, et à l’approche des fêtes, les automobilistes soient de moins en moins tolérants. »

« Gilets jaunes » : peut-on comparer le mouvement aux révoltes du passé ?