Donald Trump impose un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir
Donald Trump impose un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
La démission du secrétaire à la défense James Mattis a provoqué une onde de choc sans précédent à Washington.
Donald trump, le 20 novembre, après une conférence de presse à la Maison Blanche, à Washington. / Carolyn Kaster / AP
La rupture entre Donald Trump et son secrétaire à la défense, James Mattis, le 20 décembre, précipitée par sa décision de retirer les Etats-Unis de Syrie, a provoqué une onde de choc sans précédent à Washington depuis l’arrivée aux affaires pourtant tumultueuse du milliardaire. Parce qu’elle est la promesse d’une remise en cause accrue de l’ordre mondial mis en place après 1945. Et parce qu’elle illustre également l’exercice solitaire du pouvoir d’un Donald Trump qui renâcle plus que jamais à respecter les équilibres en place.
Dans un entretien frappant par sa candeur accordé au Washington Post, le 28 novembre, le président des Etats-Unis avait résumé en quelques mots son principe d’action, et l’origine des dysfonctionnements qui sont devenus la marque de fabrique de son administration. « J’ai un instinct, et mon instinct me dit plus parfois que le cerveau de quelqu’un d’autre ne le pourra jamais », avait-il affirmé.
Une réplique du séisme du 20 décembre a été enregistrée deux jours plus tard avec la démission de Brett McGurk, le coordinateur de la coalition internationale rassemblée pour lutter contre l’organisation Etat islamique en Irak et en Syrie, lui aussi désavoué par la décision du retrait syrien. Elle a provoqué la publication d’un message de défiance du président sur son compte Twitter dans lequel ce dernier a assuré ne pas connaître ce diplomate chevronné, mettant en évidence un autre trait de caractère qui pèse sur sa présidence : une maladive susceptibilité.
Un brusque revirement
Elle explique, après la pluie d’éloges qui s’est abattue sur James Mattis, contrastant avec les jugements sévères portés sur le président, un brusque revirement. Il a, en effet, décidé le 23 décembre de précipiter le départ de ce dernier au 1er janvier, au lieu de fin février comme annoncé plus tôt. James Mattis avait proposé cette date pour donner le temps à Donald Trump de lui trouver un successeur, et au Sénat de confirmer celui-ci dans ses fonctions. Pour le remplacer, le président a nommé dimanche dans la foulée l’actuel ministre adjoint de la défense Patrick Shanahan.
A 72 ans et une vie passée à la tête d’un groupe immobilier où il n’a jamais eu à souffrir d’autres contraintes que les aléas des affaires, Donald Trump éprouve toujours autant de mal, après vingt et un mois passés à la Maison Blanche, à intégrer les limites de son pouvoir. Il l’a montré à nouveau le 21 décembre, selon l’agence Bloomberg, en s’interrogeant sur un éventuel limogeage du patron de la Réserve fédérale, Jerome Powell, régulièrement mis en cause par le président sur un compte Twitter devenu le journal officiel de son administration. Pourtant nommé par le républicain, le responsable de la banque centrale américaine, dont l’indépendance est la condition de sa crédibilité, venait en effet de rehausser les taux d’intérêt alors que Donald Trump lui avait publiquement enjoint de n’en rien faire.
Le 7 décembre, au cours d’un rare entretien accordé à la chaîne CBS, par l’ancien secrétaire d’Etat Rex Tillerson, ce dernier avait exposé le quotidien des conseillers du président. « Quand il me disait : “Voilà ce que je veux faire, et voici comment je veux le faire”. Je devais lui répondre : “Monsieur le président, je comprends, mais vous ne pouvez pas le faire de cette façon, cela viole la loi. Cela viole le traité”. Et cela le frustrait vraiment », a-t-il raconté.
Principe de loyauté
Les démêlés du président avec son ministre de la justice, limogé en novembre, attestent d’une conception du pouvoir dans laquelle le principe de loyauté l’emporte sur le respect des institutions. Donald Trump s’est débarrassé, en novembre, de Jeff Sessions parce que cet ancien procureur général de l’Alabama refusait de le protéger dans l’enquête sur les interférences prêtées à la Russie pendant la campagne présidentielle. Il a été remplacé par un ministre par intérim, Matthew Whitaker, qui a, lui, choisi de ne pas se récuser pour la supervision de ces investigations. Un haut responsable de l’éthique au ministère de la justice lui avait pourtant conseillé le contraire en lui rappelant ses critiques passées contre le procureur spécial Robert Mueller.
Donald Trump s’est d’autant plus installé dans cet usage maximaliste des institutions que le Parti républicain lui a donné les coudées franches. Le même Grand Old Party qui dénonçait une dérive monarchique de Barack Obama lorsque ce dernier, privé de majorité au Congrès, avait recours aux décrets présidentiels pour défendre son agenda, ne s’est jamais offusqué de la multiplication de ces derniers à partir de janvier 2017, alors que Donald Trump pouvait, lui, s’appuyer sur une Chambre et un Sénat républicains. Le parti du président a, de même, renoncé à toute forme de contrôle de l’exécutif, une connivence qui va prendre fin avec la nouvelle Chambre à majorité démocrate.
Donald Trump va découvrir ce nouveau rapport de force alors qu’il doit trouver de toute urgence un secrétaire à la défense, un secrétaire à l’intérieur et un chief of staff (« chef de cabinet »), rouage essentiel d’une présidence. Et ce après avoir contribué à bloquer une partie du gouvernement pour tenter, sans grandes chances de succès, d’obtenir une partie du financement du « mur » qu’il veut ériger à la frontière avec le Mexique.