« Cro Man » : le Brexit à l’âge de pierre
« Cro Man » : le Brexit à l’âge de pierre
Par Antoine Flandrin
Nick Park, le créateur de « Wallace et Gromit », signe une fable préhistorique pleine d’humour, pour petits et grands.
Cro Man se concentre sur une tribu vivant à l’âge de pierre, près de Manchester. L’auteur de ce film, le Britannique Nick Park, génie de l’animation de marionnettes contemporaine, ne manque pas d’humour. Il a choisi de faire vivre ces primitifs dans un cratère géant où, quelques millénaires plus tôt, de lointains ancêtres pratiquaient un football pour le moins énergique. Un jeu représenté sur les parois des cavernes où ils habitent, mais dont les membres de la tribu ne comprennent pas toutes les subtilités. En effet, ces hommes de Cro-Magnon ignorent comment leurs prédécesseurs se sont procuré cet objet mystérieux qu’est le ballon rond.
Coupés du monde extérieur, ces petits personnages de couleurs de peau différentes, aux fronts étroits, aux yeux rapprochés, aux dents en avant et au nez de cochon, ont une conscience encore plus faible de leur futur : ils ne se voient pas chasser d’autres animaux que le lapin ; seul le jeune Doug estime qu’il est temps de s’attaquer au mammouth.
Film bourré d’anachronismes
L’idylle de ces chasseurs-cueilleurs est brisée par l’arrivée d’un peuple guerrier maîtrisant le bronze et la construction de gigantesques stades de football, qui va annexer leur vallée et les chasser vers les « moches terres ». Guidés par un roi corrompu, l’affreux Lord Noz, les habitants de cette forteresse que l’on appelle l’« empire de bronze » vivent au rythme des exploits des joueurs du Real Bronzio. Le jovial mais non moins intrépide Doug va proposer à Lord Noz un défi impossible : le sort du territoire des primitifs se réglera sur le pré contre cette équipe réputée injouable.
« Cro Man », film d’animation britannique de Nick Park. / STUDIOCANAL / BRITISH FILM INSTITUTE
Fable préhistorique rejouant David contre Goliath, ce film bourré d’anachronismes un peu faciles paraît de prime abord dénué de complexité. Il n’en est rien. Les plus petits ne le relèveront certainement pas, mais il y a plusieurs façons de regarder ce film. On peut voir dans Cro Man une allégorie du Brexit. La ville impériale des bronzes est un creuset d’influences et d’accents continentaux – dans la version originale, Lord Noz parle l’anglais avec un accent français à couper au couteau. Son équipe, le Real Bronzio, dont les couleurs sont le bleu et le jaune, est composée de mercenaires athlétiques venus de Germanie, de Gaule et d’Afrique : difficile de ne pas y voir l’Union européenne.
Comme le note le critique du Guardian, Steve Rose, le manque d’engagement de Doug et de sa tribu dans le monde extérieur les a fait revenir en arrière, vers les « moches terres ». Il leur faudra découvrir la signification des peintures rupestres ancestrales – celles-ci ne représentent que des défaites, en l’occurrence celles de l’Angleterre – pour comprendre qu’il est possible de dépasser les mythes identitaires.
Blagues typiquement « British »
A. O. Scott, du New York Times, adopte une lecture différente. Pour lui, Cro Man revisite le mythe de la perte du royaume tranquille d’Arcadie. « Un mode de vie paisible et authentique est menacé de destruction par les forces de la modernité, et la menace est combattue par une démonstration de courage émouvante et potentiellement tragique », écrit-il.
Dans la lignée des précédentes créations des studios Aardman, Cro Man s’apprécie tant pour ses gags visuels – le meilleur ami de Doug, un cochon dénommé Crochon, est aussi drôle qu’attachant – que pour ses blagues typiquement British. Certaines pitreries finissent par lasser, mais qu’importe, le plaisir est surtout visuel : les héros de Cro Man, aussi peu avancés soient-ils, sont tout aussi expressifs que leurs homologues numériques.
Cro Man - Bande-annonce VF
Durée : 02:24
Cro Man, film d’animation de Nick Park (GB-Fr. 2018) sur Canal+ Family.