L’antitrust allemand hostile au mariage Alstom-Siemens
L’antitrust allemand hostile au mariage Alstom-Siemens
Par Jean-Michel Bezat
Plusieurs commissaires doivent se réunir, mardi, à Bruxelles, pour débattre de la création d’un champion européen du ferroviaire capable de concurrencer le géant chinois CRRC.
Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, et celui d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, à Paris, en septembre 2017. / THOMAS SAMSON / AFP
Les ombres s’accumulent de jour en jour sur le mariage d’Alstom et Siemens Mobility destiné à créer un géant européen de la construction ferroviaire capable de concurrencer le chinois CRRC, qui serait encore deux fois plus gros que le nouveau groupe. L’autorité allemande de la concurrence vient d’écrire à Bruxelles pour exprimer de « sérieux doutes » sur le bien-fondé d’un rapprochement entre les entreprises française et allemande, indique la Frankfurter Allgemeine Zeitung du dimanche 13 janvier et le Financial Times du lundi 14, après avoir pris connaissance de cette lettre.
Ces critiques sont sur le même ton que les mises en garde exprimées ces dernières semaines par les autorités de la concurrence d’Espagne, de Grande-Bretagne, de Belgique et des Pays-Bas, qui n’ont pas d’industries ferroviaires de poids équivalents. Elles jugent que dans de nombreux pays, Alstom-Siemens aura une part de marché exorbitante dans la fourniture des trains à grande vitesse et la signalisation. Or les « remèdes » apportés par les deux groupes aux « griefs » formulés en octobre par Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, sont jugés encore insuffisants par ces autorités antitrust.
En décembre 2018 déjà, le bundeskartellamt, le régulateur allemand de la concurrence, avait jugé que les concessions d’Alstom et Siemens n’étaient « pas adaptées ni suffisantes » au regard des règles de la concurrence, note encore le quotidien britannique. Accorder des licences temporaires pour le Valero ancienne génération de Siemens, céder le Pendolino (train pendulaire) d’Alstom ou se débarrasser de briques de signalisation n’a pas semblé suffisant.
Un collège de plusieurs commissaires doit en débattre, mardi, à Bruxelles, une procédure assez peu courante. Il n’abordera pas le dossier sous le seul angle de la concurrence, mais dans une perspective plus large incluant la menace de la concurrence extra-européenne, notamment chinoise. De fait les groupes chinois bénéficient d’importantes aides de leur gouvernement (financements, régulation, protection du marché intérieur…), ce que Bruxelles ne peut pas ignorer.
M. Macron et Mme Merkel ont apporté leur soutien au projet de fusion
Il reste que Mme Vestager juge la menace chinoise surestimée, même si CRRC a déjà décroché des marchés aux Etats-Unis et pénètre en Europe de l’Est avec des produits compétitifs. La commissaire danoise a jusqu’au 18 février pour se prononcer définitivement sur un dossier qui, dans le contexte actuel, dépasse les seules questions de concurrence.
Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont apporté leur soutien au projet de fusion depuis son annonce, en septembre 2017. C’est, à leurs yeux, une opération contribuant à la consolidation de l’Europe, alors que se profile un scrutin à haut risque, en mai, pour renouveler le Parlement, puis la Commission.
La question est désormais ouvertement posée, à Paris du moins : le droit de la concurrence n’est-il pas « obsolète », comme l’affirme Bruno Le Maire, le ministre français de l’économie ; ne freine-t-il pas la création de champions européens face à la montée en puissance des géants industriels chinois ? Dans le ferroviaire certes, mais aussi les réseaux électriques (State Grid), les centrales nucléaires (CGN et CNNC), les équipements de télécommunication (Huawei et ZTE).
Si la fusion Alstom-Siemens déraille, ce qui serait une « faute politique », selon M. Le Maire, le débat sur la concurrence au sein de l’Union européenne repartira de plus belle. Mme Vestager aura alors beau jeu de dire que la Commission n’a jamais empêché la naissance de champions, comme le prouve l’exemple Airbus. Depuis les années 1990, ses services n’ont bloqué que vingt-sept opérations (Legrand-Schneider, LSE et Deutsche Börse…), mais ils en ont approuvé 6 000 (pharmacie, grande distribution, sidérurgie, automobile…).