« Le sport sur ordonnance ne décollera pas sans prise en charge financière »
« Le sport sur ordonnance ne décollera pas sans prise en charge financière »
Propos recueillis par Sandrine Cabut
Le cardiologue François Carré se désole de la faible prise de conscience des dangers de la sédentarité.
François Carré est professeur en physiologie cardio-vasculaire à l’université Rennes-I, cardiologue au centre hospitalier universitaire de Rennes et médecin du sport. Cofondateur de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité, il est un ardent défenseur de la promotion du sport dans la prévention des risques.
Vous promouvez depuis longtemps la lutte contre la sédentarité et l’activité physique pour tous. Où en est-on ?
Sur ce sujet, nous en sommes malheureusement au même stade que sur celui du tabagisme il y a cinquante ans. Il n’y a pas de réelle prise de conscience des dangers par la population. Il est prouvé que la sédentarité (ces moments d’éveil avec une très faible dépense énergétique, par exemple regarder la télévision ou travailler assis devant un ordinateur) est délétère pour la santé. Cela favorise les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’obésité, les cancers, les troubles anxieux et dépressifs. Mais 72 % des Européens sous-estiment ces risques, comme l’a montré une enquête de 2018, menée dans huit pays par l’association Attitude Prévention. En France, où on passe en moyenne plus de sept heures par jour assis, la proportion est de 67 %.
Plus inquiétant encore : les parents n’ont pas conscience des dangers de la sédentarité pour leurs enfants. Dans un sondage IFOP de 2017 où il leur a été demandé « Quels aspects du mode de vie de vos enfants pourraient avoir un impact sur leur santé à venir ? », l’addiction aux écrans arrivait en tête, devant l’alimentation. La sédentarité n’arrivait qu’en avant-dernière position. Face à ce constat, nous, médecins, devons changer de discours : il faut continuer à dire qu’avoir de l’activité physique est bénéfique, mais aussi faire comprendre que ne pas bouger est dangereux.
Est-ce vraiment le rôle des médecins ? Beaucoup de généralistes estiment que ce serait une attitude paternaliste et refusent de s’immiscer dans la vie quotidienne de leurs patients…
Je pense que la question de l’activité physique devrait systématiquement être abordée en consultation, au même titre que celle de la consommation de tabac et d’alcool. Aujourd’hui, la médecine curative atteint ses limites : je le vois bien dans ma spécialité, la cardiologie, où l’on est au taquet de ce qu’on peut faire avec des médicaments. Il faut donc miser sur la médecine préventive, mais, hélas, celle-ci reste faible en France.
L’espérance de vie en bonne santé de nos compatriotes est de 62,6 ans chez les hommes, 64,4 ans chez les femmes. C’est environ dix ans de moins qu’en Suède et à Malte, les deux pays d’Europe en tête pour cet indicateur ; et ce alors même que l’espérance de vie à la naissance est comparable pour ces trois nations : environ 82 ans. Les médecins ont la chance d’être écoutés par leurs patients, il est dans leur mission de s’occuper de qualité de vie et de prévention, et pas seulement d’allonger la vie. Rappelons que la France compte 37 millions de sédentaires et 10 millions de malades chroniques pris en charge en affection de longue durée [ALD].
Un cours de zumba, une activité d’intensité élevée. / PIERRE EMMANUEL RASTOIN/ PRESSE SPORTS
Qu’en est-il du rôle d’autres acteurs, comme l’école, pour encourager l’activité physique dès le plus jeune âge ?
Des initiatives fonctionnent, comme « Les parcours du cœur », proposés par la Fédération française de cardiologie. En 2018, plus de 415 000 élèves issus de 2 600 établissements y ont participé. Mais, dans le domaine de l’activité physique, l’éducation nationale est difficile à bouger. Depuis longtemps, je leur demande de consacrer le premier cours d’activité physique de l’année scolaire à l’importance de prendre soin de son corps. Je suis sûr qu’un tel cours centré sur la nutrition et les bienfaits de l’activité physique, associant le professeur de sport et celui de SVT [sciences de la vie et de la Terre], sensibiliserait les élèves et, par ricochet, leurs parents. Mais il m’a été répondu que la priorité est d’abord de leur apprendre à lire et à écrire. Je ne comprends pas cette fin de non-recevoir, alors qu’il est largement démontré que bouger favorise aussi les apprentissages.
Venons-en à l’activité physique chez les personnes atteintes d’une maladie chronique. Le décret qui autorise les médecins à en prescrire, dans le cadre d’une ALD, a été voté il y a deux ans, mais il n’y a toujours pas d’enseignement aux futurs médecins. Pourquoi ?
L’absence de formation des médecins concernant les bienfaits de l’activité physique et les modalités de la prescription de celle-ci est effectivement l’un des principaux freins au développement du « sport sur ordonnance », avec la non-prise en charge par l’Assurance- maladie. Pour l’instant, cet enseignement est optionnel, car un doyen de faculté de médecine ne peut modifier de sa propre initiative le socle des études médicales. Nous sommes intervenus auprès de la conférence des doyens pour qu’il y ait des questions sur ce thème aux examens du deuxième cycle des études médicales. Si c’est au programme des examens, ce sera enseigné ; c’est dans ce sens que cela fonctionne.
Il y a pourtant une appétence des jeunes pour cette thématique. Dans mon université, à Rennes, une unité d’enseignement spécifique a été créée, il y a trois ans, pour les étudiants de deuxième et troisième années de médecine. Elle est très prisée : 180 des 210 étudiants de chaque promotion s’y inscrivent.
Alors que la science a démontré que, dans bien des pathologies, l’activité physique est aussi efficace qu’un médicament, pourquoi n’est-elle pas prise en charge par l’Assurance-maladie ?
C’est une question fondamentale, car, dans un pays comme la France, le « sport sur ordonnance » ne décollera pas tant qu’il n’y aura pas de prise en charge financière. Je rappelle que le but de ces prescriptions médicales est de remettre les patients à l’activité physique pour qu’ils continuent ensuite pendant toute leur vie. Si l’on met en balance le coût et les bénéfices de santé publique, il n’y a pas photo.
A ce stade, je constate une réelle réflexion des parties prenantes, et des discussions sont en cours entre l’Assurance-maladie et les mutuelles. Par ailleurs, la Haute Autorité de santé s’est beaucoup investie sur ce sujet, notamment à travers la publication récente d’un guide pratique pour les médecins, avec des référentiels d’aide à la prescription d’une activité physique adaptée [APA] aux pathologies : surpoids, diabète…
Autre problème, le public ne connaît pas bien les différents professionnels de l’APA et leurs compétences respectives. Comment s’y retrouver ?
Le décret a exacerbé certains corporatismes, mais les décrets d’application ont bien précisé les champs d’intervention : un individu en affection de longue durée avec une limitation importante de ses capacités physiques doit être pris en charge en activité physique adaptée par un kinésithérapeute, un ergothérapeute ou un psychomotricien. Si la limitation est modérée, l’activité physique peut être encadrée par les mêmes spécialistes ou bien par des enseignants en APA.
Il faut que ces professionnels s’entendent entre eux, d’autant que, avec dix millions de personnes en ALD, il y a du travail pour tout le monde. D’autres professionnels de santé, comme les pharmaciens, ont un rôle important à jouer dans l’activité physique adaptée, car ils voient les patients plus souvent que nous et les connaissent bien. Des formations spécifiques commencent à voir le jour. C’est le cas à Rennes, où les pharmaciens ont accès à un module de vingt heures.
Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Sète Agglopôle Méditerranée, à l’occasion du Forum Sport & Santé