« Grâce à Dieu » : la sereine fulmination de François Ozon
« Grâce à Dieu » : la sereine fulmination de François Ozon
Par Thomas Sotinel
S’emparant d’une affaire en cours, le cinéaste s’est plié à la discipline de la fidélité aux faits, sans pour autant renoncer à sa nature.
Lorsque les avocats de Bernard Preynat, le prêtre catholique accusé d’agressions sexuelles sur des dizaines d’enfants, ont demandé l’interdiction de Grâce à Dieu, François Ozon a fait valoir que son film « n’invente ni ne dit rien qui n’ait déjà été porté à la connaissance du public ». Pourquoi, alors, voir ce film ? Parce que, justement, c’est un film. Que le regard d’un metteur en scène sur des acteurs en quête de la vérité de leurs personnages ouvre sur cette histoire une fenêtre qui laisse passer bien plus que l’énonciation des faits.
Ces dernières années, le cinéma français a soigné en partie sa frilosité à l’endroit de l’actualité. Reste qu’on ne voit guère de scénaristes et de réalisateurs s’emparer d’affaires en cours. C’est ce qu’a fait François Ozon. On ne s’y attendait pas de la part d’un cinéaste qui s’est toujours tenu les deux pieds dans la fiction.
En recueillant les témoignages de victimes du père Preynat, en retraçant leur parcours, qui sans cesse se heurte au silence et au déni de l’Eglise, Ozon s’est plié à la discipline de la fidélité aux faits. Comme la chronique judiciaire l’a expliqué avant la critique cinématographique, le réalisateur a changé les noms des victimes, pas ceux de l’agresseur, du cardinal qui l’a couvert, de la laïque qui a contribué à la conspiration du silence.
Pour autant, et c’est ce qui fait le prix de Grâce à Dieu, Ozon n’a pas renoncé à sa nature de cinéaste, se contentant de la contenir, d’éviter les sautes de registre et les provocations qui ont été jusqu’ici constitutives de son art. Son récit est divisé en trois grands chapitres qui ont chacun une victime pour personnage principal. Le cinéaste adapte sa manière à chacun de ces hommes, infléchissant le rythme pour mieux cerner leur souffrance, leur lutte pour faire justice d’un passé insupportable.
La famille catholique et lyonnaise d’Alexandre (Melvil Poupaud) ressemble de loin aux clans bourgeois que l’auteur aimait naguère à mettre en pièces. Il filme pourtant sans ironie cette existence réglée, un peu désuète. Elle n’est pas menacée par la mémoire ravivée des agressions dont Alexandre a été victime ni par les manœuvres du diocèse pour éviter que le père de famille ne fasse éclater le scandale au grand jour.
Incompréhension si peu charitable
Le désordre, on le trouve plutôt chez François (Denis Ménochet), qui a refoulé le souvenir des agressions jusqu’à ce que le séisme déclenché par les démarches d’Alexandre ne finisse par secouer les fondations de son existence. Furieux, caustique, il peine à ajuster sa colère aux nécessités des procédures. Emmanuel (Swann Arlaud), la dernière figure de ce triptyque, est sans doute la plus proche des univers habituels de François Ozon. Laissé à la dérive par les blessures reçues pendant son enfance, il attend de la lutte du collectif créé par Alexandre et François qu’elle l’aide à se reconstruire.
Cette structure s’impose à la vision du film, sans en faire une démonstration. François Ozon l’insère dans une collectivité qui s’enrichit sans cesse de parents (Josiane Balasko est discrètement bouleversante dans le rôle de la mère d’Emmanuel), d’amis, mais aussi de « perpétrateurs ». La figure du père Preynat hante le film. On le voit silencieux dans les quelques flash-back qui mettent en scène les agressions dans une lumière estivale. Bernard Verley en fait un être désorienté par le retrait du soutien de l’Eglise, livré à lui-même.
Montrant la contagion de l’action collective (et ses limites, dans une belle séquence à la fin du film), traitant sèchement, sans cruauté inutile, de l’incompréhension si peu charitable de la hiérarchie catholique, qui trouve son essence dans la phrase qui donne son titre au film (« la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits »), prononcée par le cardinal Barbarin (François Marthouret), François Ozon réussit, en plus de la chronique sensible d’un drame collectif, un film politique.
Grâce à Dieu - de François Ozon - Bande-annonce
Durée : 02:37
Film français de François Ozon. Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Josiane Balasko, François Marthouret, Bernard Verley (2 h 17). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/graceadieu
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 20 février)
Grâce à Dieu, film français de François Ozon (à ne pas manquer)
La Liberté, film français de Guillaume Massart (à ne pas manquer)
Les Funérailles des roses, film japonais de Toshio Matsumoto (à ne pas manquer)
Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares, film allemand, français et roumain de Radu Jude (à ne pas manquer)
Amal, documentaire égyptien de Mohamed Siam (à voir)
Destroyer, film américain de Karyn Kusama (à voir)
Euforia, film italien de Valeria Golino (à voir)
Le Chant du loup, film français d’Antonin Baudry (pourquoi pas)
La Chute de l’empire américain, film québécois de Denys Arcand (pourquoi pas)
La Grande Aventure Lego 2, film d’animation américain de Mike Mitchell (pourquoi pas)
Rencontrer mon père, documentaire français d’Alassane Diago (pourquoi pas)
Baghdad Station, film irakien de Mohamed Al Daradji (on peut éviter)
Les Moissonneurs, film sud-africain d’Etienne Kallos (on peut éviter)
A l’affiche également :
Les Aventures de Rita et Machin, film d’animation français et japonais de Pon Kozutsumi et Jun Takagi
Black Snake, la légende du serpent noir, film français de Thomas Ngijol et Karole Rocher
Food Evolution, documentaire américain de Scott Hamilton Kennedy
Le Jeune Picasso, documentaire britannique de Phil Grabsky
Paradise Beach, film français de Xavier Durringer
Plan Bee, film français de Fabrice Poirier