L’application Jangolo Farmers permet aux agriculteurs de planifier, suivre et écouler leur production. / Jangolo Farmers / Facebook

Epices, céréales, féculents… Quelques clics suffisent à Florence pour faire ses courses. Depuis qu’elle a découvert Jangolo Farm, une plateforme camerounaise de vente de produits agricoles, cette responsable des ressources humaines dans une entreprise de logistique passe commande sur son ordinateur et réceptionne les livraisons « au bureau ou à la maison ». Une nouvelle vie pour cette femme active qui quitte son travail à l’heure « où les marchés se vident » et n’avait jamais le temps de faire les courses. Ni la semaine ni le week-end, où elle jongle entre lessive, vaisselle et rangement. « La plateforme m’a simplifié la tâche », reconnaît cette mère de trois enfants en rajustant son tailleur bleu marine.

Comme elle, de nombreux Camerounais glissent doucement vers l’achat en ligne de produits agricoles locaux. Tubercules, huiles, jus naturels, cultures maraîchères ou produits transformés… Tout est désormais possible via des sites Internet, le réseau social Facebook ou la messagerie WhatsApp, où des entrepreneurs proposent des produits achetés directement aux producteurs ou transformateurs, sans passer par des intermédiaires. « On s’est rendu compte que le prix du produit entre la ferme et le marché de Douala est multiplié par trois en moyenne. Il y a près de six intermédiaires, qui mettent un maximum de pression sur l’agriculteur, lequel vend alors à perte », note Bertrand Foffe, le promoteur de Jangolo Farm.

Au Cameroun, où l’agriculture occupe 60 % de la population active, les paysans ont parfois du mal à écouler leurs récoltes et à assurer les fins de mois. Côté consommateurs, de nombreuses familles disposant de peu de moyens ne peuvent acheter ces produits. « Jangolo donne au fermier la possibilité de vendre son produit à un meilleur prix, et au consommateur celle d’acheter moins cher », résume Bertrand Foffe. « Notre objectif est de faciliter la vie des Camerounais en leur permettant de consommer 100 % local sans se déplacer », souligne de son côté Gaëlle Laura Zambou Kenfack, promotrice de Kenza Market, une plateforme de commerce en ligne lancée en décembre 2016.

Sur Facebook et WhatsApp

Quatre ans après sa création, Jangolo Farm est utilisé par près de 9 000 personnes et référence 180 produits locaux. Pour les acheter, il suffit de s’inscrire sur le site, de sélectionner les produits désirés et de payer soit directement via mobile money ou Paypal, soit à la livraison. Une fois la commande reçue, les responsables de Jangolo Farm appellent pour la confirmer et s’assurer de l’adresse exacte de livraison. Les produits peuvent alors être acheminés chez le destinataire.

« Avec la baisse du coût de la connexion Internet, les Camerounais s’habituent peu à peu », se réjouit Gaëlle Laura Zambou Kenfack. De fait, depuis le lancement des deux sites, les commandes sont passées d’une dizaine à une trentaine par jour chez Jangolo Farm et de deux à une vingtaine chez Kenza Market, dont le capital est passé de 3 millions à 6 millions de francs CFA (environ 9 150 euros). La clientèle est constituée, entre autres, de travailleurs manquant de temps, comme Florence, de Camerounais ayant vécu en Occident avant de revenir s’installer au pays, mais aussi d’expatriés et de personnes à mobilité réduite.

Pour toucher un plus grand nombre de clients, ces start-up misent beaucoup sur Facebook à coups de posts sponsorisés, de photos et de vidéos. « La plupart de nos clients nous contactent via Facebook, car tout le monde aujourd’hui a un smartphone. Les Camerounais sont très actifs sur les réseaux sociaux », confirme Gaëlle Laura Zambou Kenfack. Certains entrepreneurs ont même fait du réseau social leur unique point de vente, comme Les Paniers de Bintou, une entreprise spécialisée dans la livraison de fruits, légumes et céréales transformées. Kaltoume Idrissou, sa promotrice, explique que les clients la contactent « grâce au numéro de téléphone affiché sur la page Facebook ».

Les start-up utilisent aussi la messagerie WhatsApp pour « approfondir les discussions ou animer des groupes ». Certaines ont même recruté des community managers. Pour Marie Pauline Voufo, rédactrice en chef de La Voix du paysan, un journal créé il y a trente ans, la vente en ligne des produits agricoles est devenue incontournable car elle correspond aux besoins d’une clientèle qui se développe. Mais il faut rester vigilant sur le vrai bénéficiaire de la formule et éviter que ce ne soient les prestataires.

Des boutiques physiques

Au ministère de l’agriculture et du développement rural, où l’on scrute la tendance de près, il semble prématuré de conclure que les agriculteurs sont les grands gagnants de la vente en ligne. « C’est un secteur qui a énormément d’avenir, car les Camerounais sont de plus en plus connectés et voir des produits agricoles sur Internet est sexy, reconnaît toutefois un cadre du ministère. Aujourd’hui, de nombreux agriculteurs utilisent Facebook à titre personnel pour écouler une partie de leur récolte. Ils vendent des épices déjà écrasées et emballées, des tomates ou condiments bien lavés, des arachides ou du maïs nettoyés… Cela attire forcément. »

Selon ce fonctionnaire, lui-même propriétaire d’une dizaine d’hectares de plantations d’arachides, de pastèques et de culture maraîchère, les entreprises de commerce en ligne doivent désormais « investir dans la logistique » pour maximiser leurs profits et ceux des fermiers. Car le principal défi de ces start-up reste le transport. « Il est inadmissible que quand on achète un produit 1 000 francs CFA [1,50 euro], le coût de livraison s’élève à plus de 1 500 francs CFA », s’offusque la cliente d’une plateforme.

Conscients de cette situation, Jangolo Farm et Kenza Market se sont tournés vers des sociétés de transport à qui ils sous-traitent les livraisons. « Au début, on s’occupait nous-mêmes du transport, ce qui nous revenait excessivement cher. Aujourd’hui, le coût a été réduit et nous livrons dans tout le Cameroun, précise Bertrand Foffe. Nous prenons en compte le poids de la marchandise, la distance ou le lieu de livraison. Et nous continuons de chercher des solutions pour réduire encore plus les coûts. »

Les start-up voient au-delà de la seule vente en ligne. Kenza Market a ainsi ouvert trois boutiques physiques à Douala et Yaoundé. Quant à Jangolo, il a mis sur pied Jangolo Farmers, une application qui permet aux fermiers de planifier, suivre et écouler leur production. Pour aider ces milliers d’agriculteurs, Jangolo les met en relation avec des entreprises. « Par exemple, si nous avons une dame qui fait des épices, nous pouvons lui proposer un contrat avec producteur de poivre », détaille Bertrand Foffe. Son objectif, comme pour Kenza Market ou Les Paniers de Bintou, est d’« utiliser Internet pour développer l’agriculture camerounaise ».