En voilà un retour puissant. Vingt-six ans après sa première apparition dans la franchise manga la plus populaire au monde, Broly le guerrier légendaire revient sur grand écran, mercredi 13 mars, dans Dragon Ball Super : Broly, quelques mois après sa présentation nippone.

La sortie du film est un événement en France, justifiant ainsi la débauche d’affichage publicitaire dans les espaces publics, les gares et même sur un TGV ces dernières semaines.

Et pour cause : on n’avait pas vu de film animé Dragon Ball dans les salles obscures françaises depuis l’automne 1996, la majeure partie des longs-métrages et téléfilms ayant été commercialisés dans l’Hexagone en VHS puis DVD. Mais aussi parce qu’avec Vegeta, Broly est un personnage extrêmement plébiscité par les fans français, et ce bien qu’il ne soit pas né dans les BD originales.

DRAGON BALL SUPER - BROLY - Bande-annonce VF
Durée : 01:33

Capable de détruire des astres et habité par une colère aveugle, il appartient à la même race que Son Goku et Vegeta

Broly débarque le 6 mars 1993 dans un film d’une heure dix, périphérique aux séries mangas et animés – chose courante dans les sagas japonaises –, Dragon Ball Z : Broly le super-guerrier. Extrêmement musculeux et ultra puissant, capable de détruire des astres et habité par une colère aveugle, il appartient à la même race extraterrestre que Son Goku et Vegeta : les Saiyans, d’éminents guerriers dont la planète a été détruite par le super vilain Freezer et dont il ne reste que quelques survivants.

Une légende évoque l’apparition chaque millénaire d’un guerrier invincible, un super-saiyan que l’on pense être dans un premier temps Son Goku, mais s’avère être Broly. Celui-ci apparaît finalement dans quatre films ou téléfilms et plus d’une vingtaine de jeux vidéo.

« Broly, une sorte de Graal »

C’est d’ailleurs en 1994, dans un jeu vidéo sorti sur Super Nintendo (Dragon Ball Z : La Légende Saien), que les Français font connaissance avec Broly, qui, pour une raison obscure, s’appelle en VF Tara. Son mythe se construit dans l’Hexagone en raison de la difficulté à trouver les longs-métrages le mettant en scène ; ils se vendaient alors sous le manteau.

choc des titans! tara vs cell mode super
Durée : 01:12

Son mythe se construit en France en raison de la difficulté à trouver les longs-métrages le mettant en scène

« A l’époque, de nombreuses VHS pirates circulaient, ce qui a contribué à faire de Broly une sorte de Graal en France », explique Bounthavy Suvilay, auteure de l’ouvrage Indiegames (Bragelonne, 2018) et actuellement en train de préparer une thèse sur Dragon Ball auprès des universités Montpellier 3 et Paris-Ouest. « Il y a un petit côté snob assumé chez des fans, qui préfèrent des personnages cachés, auxquels seuls les vrais connaisseurs accéderont », complète de son côté Julien Bouvard, maître de conférences en langue et civilisation japonaise à l’université Jean-Moulin Lyon 3.

« Il est à Dragon Ball ce que Boba Fett est à Star Wars. »

La popularité de Broly – surtout en Occident – s’explique également par ce qu’il symbolise. Peu disert et primitif (dans les premiers films, il se contente de répéter « Kakarot », le nom de naissance de Son Goku), ce combattant pousse la force physique à son paroxysme : les muscles hypertrophiés, une détermination sans faille, une énergie (appelée Ki dans la série) à peine contenable et quasi nucléaire. « Broly représente la virilité traditionnelle et la masculinité sous un jour positif », avance Bounthavy Suvilay :

« Il est courageux, n’abandonne jamais. Tout comme Son Goku, qui est obsédé par l’entraînement et la recherche continue de la puissance. »

Des valeurs importantes dans Dragon Ball et les mangas d’aventures du même genre – appelé shonen – qui galvanisent les lecteurs depuis plus de trente ans à travers le monde. Julien Bouvard ajoute :

« En Occident, Broly correspond à un imaginaire de films d’action ou de comics des années 1990, avec des acteurs comme Stallone ou Schwarzenegger. Dans l’esprit des ados, la maturité peut passer symboliquement par la musculature et la force. C’est une image qui a toujours cours quand l’on voit par exemple le culte voué à la musculation sur les réseaux sociaux. »

Broly en train de se transformer en super-saiyan. / BIRD STUDIO / SHUEISHA / 2018 DRAGON BALL SUPER / THE MOVIE PRODUCTION COMITTEE

Tel un demi-dieu grec des temps modernes, Broly est aussi adulé parce que son histoire appartient à la genèse du héros de Dragon Ball, Son Goku, et à la mythologie saiyan. Son injuste destin est aussi intimement lié à Vegeta, autre personnage important, héritier du trône de la planète des Saiyans.

Mis en gestation dans un incubateur proche de Goku, Broly développe très tôt de grands pouvoirs et d’immenses capacités qui rendent jaloux et craintif le roi, pour la succession de son jeune fils Vegeta. Il exile alors Broly et son père, Paragus, sur une autre planète. Dragon Ball Super : Broly évoque également comment les parents de Son Goku l’envoient sur Terre dans une capsule pour le sauver juste avant que le territoire saiyan ne soit anéanti par Freezer, un envahisseur autocrate sans merci.

Appartient-il au récit officiel ?

La réputation de Broly en France a aussi enflé avec un débat qui divise sans cesse les fans de l’Hexagone : ce personnage est-il vraiment le plus fort mais surtout, est-il « canon » ? Il ne faut pas y voir ici un concours de beauté, mais de longues discussions en ligne pour savoir si le personnage appartient au récit officiel, biblique, de Dragon Ball.

Car Broly, comme d’autres éléments qui émanent de la partie Dragon Ball Z de l’univers Dragon Ball, n’est pas forcément né de l’imagination du mangaka Akira Toriyama. Mais de l’équipe élargie qui se charge de faire fructifier la franchise au sein des quatre séries animées (soit plus de 630 épisodes), de la cinquantaine de tomes mangas et des très nombreux films et jeux vidéo. Broly s’épanouit dans des récits centrés sur des combats martiaux qui n’ont jamais été la partie préférée du mangaka, de son propre aveu.

« Dragon Ball est une cocréation et un dialogue permanent entre ce qui naît du manga et des animés »

« La question du canon ne sera jamais vraiment résolue et au Japon elle n’intéresse pas. C’est une façon de voir très occidentale. Dragon Ball est une cocréation et un dialogue permanent entre ce qui naît du manga et des animés », avertit Bounthavy Suvilay. Avant de rappeler que « Toriyama lui-même déclare ne pas avoir la mémoire de tout ». Le mangaka a toutefois estampillé ce dernier film de son nom en supervisant le scénario et la production. De quoi ravir ceux qui ne jurent que par les versions signées par le pape lui-même.

« Nul doute que ce film va permettre de relancer le commerce des produits dérivés et des statuettes », parie Julien Bouvard. Il pourra servir de catalyseur économique aux entreprises qui se partagent l’exploitation de la franchise : l’éditeur de livres Shueisha, les studios de la Toei et le fabricant de jouets Bandai Namco. Côté éditorial, « Broly peut représenter le prochain défi du héros Son Goku. Celui-ci a déjà gagné contre son ennemi Jiren, mais pour l’instant il n’arrive pas à battre Broly seul », analyse Bounthavy Suvilay.

Les premiers chiffres excellents au box-office japonais (18 millions de dollars, soit 16 millions d’euros, en onze jours d’exploitation) et américain (7 millions de dollars le premier jour) prédisent au film un avenir plutôt radieux sur le territoire français, où les mangas Dragon Ball se hissent dans le haut des ventes BD.

Selon son éditeur français Glénat, il s’est vendu en France plus de 20 millions de tomes de cette saga trentenaire, dont un million rien que sur l’année 2018.