Avec Stadia, Google veut inaugurer l’ère du jeu vidéo sans consoles
Avec Stadia, Google veut inaugurer l’ère du jeu vidéo sans consoles
Par William Audureau
Le géant du Web a présenté son projet de plateforme de jeu à la demande, attendue courant 2019 en Europe. L’offre, ambitieuse, n’a pas encore totalement convaincu.
Majd Bakar, directeur de développement de Google, lors de la présentation Stadia, plateforme de jeu sans console, à San Francisco, le 19 mars. / JOSH EDELSON / AFP
Sur un point au moins, Google a réussi son coup : le nom de son nouveau service, Stadia, était sur toutes les lèvres, dans la nuit du mardi 19 au mercredi 20 mars, et tout particulièrement sur celles des professionnels participant à la Game Developers Conference (GDC) de San Francisco. C’est en effet dans l’enceinte de ce salon du jeu vidéo historique que le géant de Mountain View (Californie) a officiellement fait son entrée dans le monde de la manette.
En une heure de conférence, la pieuvre du Web a dévoilé les grandes lignes de son projet, une plateforme de jeu à la demande disponible depuis presque n’importe quelle machine connectée, que ce soit un ordinateur, un smartphone, un téléviseur intelligent ou une tablette, à la manière de Spotify pour la musique ou de Netflix pour les films et les séries.
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« Ce n’est pas un boîtier, c’est un service », a insisté Phil Harrison, président de la division jeu vidéo du groupe.
Comme le souffle un proche de l’entreprise américaine, « c’est la fin de l’ère des consoles vendues à plus de 100 millions d’exemplaires », comme la PlayStation 2 ou la Nintendo DS dans les années 2000. Et sans doute le début d’une nouvelle époque, celle du jeu vidéo en streaming, n’importe où, grâce à une simple connexion Internet…
Synergie avec YouTube
Si Google s’est bien gardé de communiquer sur les détails de son catalogue et de son modèle tarifaire, plusieurs fonctionnalités ambitieuses ont d’ores et déjà été présentées, comme la possibilité de rejoindre à la volée une partie, via une vidéo YouTube ou un lien sur les réseaux sociaux. « Niveau marketing, la promesse de pouvoir acheter et jouer en un clic est très séduisante, applaudit Mylène Lourdel, consultante en communication dans l’industrie du jeu vidéo. Et cela, partout sur Internet, sur les sites de presse, sur les forums, les réseaux sociaux… »
Si Google jure viser le très grand public et pas moins de 200 pays à termes – soit plus qu’il n’en existe aux Nations unies –, cette première conférence a surtout témoigné de la volonté de l’entreprise de séduire en premier lieu les ayatollahs du pixel. A l’image des deux jeux mis en avant, les superproductions Doom Ultimate et Assassin’s Creed Odyssey, ou des longs tunnels axés sur les performances de Stadia en matière de définition d’image (jusqu’à 8K, un type de TV qui ne compte même pas un million de possesseurs dans le monde à ce jour).
« Ils ont un positionnement très “gameur”, ce qui veut dire qu’ils ne sont pas encore un service pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Ils sont centrés sur une niche », décrypte Olivier Avaro, fondateur de la start-up française Blacknut, qui propose un service similaire centré sur un catalogue familial.
Du reste, une connexion très haut débit sera indispensable pour profiter du service, le rendant de fait très élitiste, alors même que les journalistes anglo-saxons ont déjà remarqué une très légère latence. « Stadia ne sera pas utilisable dans le train ni dans l’avion, et seulement partiellement dans le métro et en zones rurales, prévient Emmanuel Freund, fondateur de l’autre pionnier français du marché, Shadow. Cela s’améliorera progressivement, ils deviendront utilisables dans quatre-cinq ans, avec la 5G, mais ce ne sera pas au point en France en 2019. »
Draguer les développeurs
Mais Google n’est pas pressé. Cette première communication s’adressait moins aux consommateurs qu’aux créateurs de jeu, à travers plusieurs démonstrations d’outils de développement d’apparence très simple.
« Le message “vous n’avez qu’à imaginer et créer, on s’occupe du reste” était assez fort, estime Mylène Lourdel. Après, il reste à voir le modèle économique. Je pense que le streaming peut notamment faire peur à beaucoup de studios indépendants. »
Le modèle économique est, de fait, peu rémunérateur pour l’instant et dépend en grande partie du nombre d’inscrits. Or Google n’est pas le seul sur le marché naissant du jeu vidéo en streaming : Sony, Microsoft ou encore Amazon fourbissent également leurs solutions, avec pour certains, un catalogue bien rempli et une offre déjà sur le marché. Oliver Avaro évoque déjà un « océan rouge », un marché ultraconcurrentiel qui fera des victimes.
Comme avec Netflix, OCS et bientôt Disney côté VOD, c’est vraisemblablement le catalogue et les exclusivités de chaque acteur qui décidera du vainqueur. Plusieurs professionnels rapportent la politique « ultra-agressive » de Google pour acquérir à grands coups de gros chèques des jeux attachés à leur catalogue. La firme de Mountain View a par ailleurs annoncé que la Canadienne Jade Raymond (ex-Ubisoft et Electronic Arts) avait pris la tête de Stadia Games & Entertainment.
Le président de la division jeu vidéo de Google, Phil Harrison, présentant la manette destinée à la plateforme Stadia, à San Francisco, le 19 mars. / JUSTIN SULLIVAN /GETTY / AFP
Un projet qui inquiète
Cette nouvelle division de Google sera chargée d’alimenter le service en jeux maison à fort potentiel, ceux qui pourraient convaincre les consommateurs de rallier la plateforme. Seul hic : la nomination de Jade Raymond remonte seulement au mois de mars, si l’on en croit sa page LinkedIn. Un indice supplémentaire que la machine Google n’est pas encore lancée à pleine vitesse, alors que de nombreux internautes s’avouaient déçus de la faiblesse du catalogue esquissé lors de cette conférence.
Au vu de sa surface financière et de son savoir-faire, Google a les moyens d’imposer son service. Mais la perspective n’emballe pas tous les consommateurs. Certains redoutent déjà que s’aggrave la position de quasi-monopole du géant du Web, spécialiste de la collecte de données et de la publicité ciblée, alors que le jeu vidéo était, hors mobile, l’un des derniers marchés numériques majeurs à lui échapper.
D’autres redoutent enfin l’impact environnemental de cette plateforme, qui repose sur une infrastructure particulièrement lourde, calcul à distance oblige. « Stadia fonctionne grâce à des data centers, qui sont des gouffres énergétiques immenses », prévient Thomas Versaveau, ancien d’une entreprise de streaming de jeu vidéo et auteur de la chaîne YouTube Game Spectrum, qui s’est notamment interrogé sur l’impact de l’industrie de la manette. L’envers d’un monde sans consoles, mais pas sans conséquences.