« Daho par Daho » : sur les fonts baptismaux du chanteur
« Daho par Daho » : sur les fonts baptismaux du chanteur
Par Emilie Grangeray
L’auteur de « Week-end à Rome » se livre à cœur ouvert, revenant sur ce qui l’a construit, pour le pire et le meilleur.
« Ce sont les premières années qui vous construisent. Après, on se démerde et on en fait ce qu’on peut. » C’est par ces mots que s’ouvre ce documentaire inédit consacré à Etienne Daho, sorte de monologue au long cours – ce qui ne l’empêche pas d’être passionnant et tout de même ponctué de quelques archives sonores pour les nostalgiques de la première heure, celle de Week-end à Rome ou d’Epaule Tatoo.
Passionnant car il faut d’emblée reconnaître la puissance de l’aveu, et ce malgré la pudeur (euphémisme) laissée en héritage. Car chez Etienne Daho, longtemps, on n’a rien dit. Heureusement, Christophe Conte, auteur de ce documentaire et d’un Daho paru aux éditions Flammarion en 2017, a su faire parler le prince anglophile de la pop française. Est-ce pour cela qu’Etienne Daho a eu besoin, très tôt, de mettre ses maux en musique ? Sans aucun doute. D’ailleurs il le dit : la musique lui a littéralement « sauvé [l]a vie », même s’il a dû batailler (il utilise les mots « combattre » et « guerrier ») pour « trouver [s]a place ».
Né en 1956 à Oran, en Algérie, Etienne Daho va d’abord se construire sur un abandon. Celui de son père qui disparaît, littéralement, du jour au lendemain. « On se construit avec ses manques », confie aujourd’hui celui qui chantait Il ne dira pas. Soit, mais l’abandon est premier et premièrement douloureux. Vient ensuite non pas les « événements », un terme qu’il refuse et récuse, mais la « sale guerre » d’Algérie. Et l’exil.
« Un cri muet ? »
Etienne Daho arrive en France en 1964 : à Reims puis Rennes. Là, il doit se battre pour ne pas être ce qu’il appelle si justement « l’étrange étranger ». Il est jeune adolescent quand il découvre vraiment la musique. Et d’évoquer les premiers chocs : Il n’y a plus rien, de Léo Ferré ; Le Condamné à mort, de Jean Genet, chanté par Marc Ogeret – qu’il chantera lui-même des années plus tard en duo avec Jeanne Moreau. Puis, essentielle, la découverte des Pink Floyd et de la voix (« un cri muet ? », s’interroge Daho) de Chet Baker (1929-1988), « influence vocale majeure pour moi ».
Ensuite il y aura la chance, les rencontres, le premier album – record d’invendus – puis le passage aux « Enfants du rock », l’émission de télévision créée par Pierre Lescure pour Antenne 2. Et là, la vie change. Etienne Daho devient un chanteur populaire, reconnu. Il enchaîne les disques. Les excès – le mot est de lui – aussi. De travail, de ruptures.
En pleine tournée, à Los Angeles, Etienne Daho songe au suicide. Il rentre à Paris et commence une psychanalyse. Essentielle et nécessaire, dit-il : « J’avais perdu ma trace. » A cette occasion, il trouve une phrase qui deviendra, à la toute fin des années 1990, une chanson culte : Le Premier Jour du reste de ta vie.
A la même période, une rumeur donne Etienne Daho malade du sida, ce qui perturbe beaucoup la sortie de l’album Eden. De ça aussi, il parle et l’on sent combien il en fut affecté. Mais, depuis le temps, il sait qu’« il n’y a pas de hasard, seulement des rendez-vous ». On ne peut dès lors que songer à cette phrase extraite du dernier livre d’Arnaud Cathrine (J’entends des regards que vous croyez muets, ed. Verticales, qui fait tellement écho aux problématiques « Dahoesques » que c’en est troublant) : « Ce fut épuisant et long de devenir nous-mêmes, mais nous pouvons être fiers d’y avoir consenti. » Ne reste qu’à souhaiter que le meilleur soit à venir, et à danser toute la nuit.
Extrait du documentaire DAHO par Daho
Durée : 02:40
Daho par Daho, de Christophe Conte et réalisé par Sylvain Bergère (Fr., 2018, 80 min). www.france.tv/france-3