En montrant la voie de la sortie à Abdelaziz Bouteflika, jeudi 26 mars, le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, a provoqué un tournant dans la crise politique algérienne. Sa « suggestion » d’activer l’article 102 de la Constitution – prévoyant l’« état d’empêchement » du chef de l’Etat – appelle une réponse du président du Conseil constitutionnel. Si elle est positive et que le Parlement vote également en ce sens, c’est le chef du Conseil de la nation – équivalent à un sénat –, deuxième personnage de l’Etat, qui assurera l’intérim à la tête du pays.

Qui sont ces trois hauts responsables ? Le Monde détaille leurs profils.

  • Ahmed Gaïd Salah, le déclencheur

Jusqu’à ce 26 mars, Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major de l’armée, avait coutume de rappeler qu’il était « au service du moudjahid Bouteflika jusqu’à la mort ». C’est pourtant lui qui, à 79 ans, vient de sonner la retraite politique du président. Tout un cheminement pour ce natif des Aurès, que le clan présidentiel avait hissé au sommet de l’armée en 2004, au détriment de son prédécesseur, le général Mohamed Lamari.

Pour l’historienne Saphia Arezki, le jeune Berbère, né en 1940, entré à 17 ans comme maquisard dans les rangs du Front de libération nationale, « a grimpé petit à petit les échelons de la hiérarchie : commandant de secteur, adjoint de région militaire, puis commandant de région militaire ». Selon elle, ses qualités de meneur d’hommes expliqueraient une bonne part du chemin parcouru.

Des purges frappant l’armée à partir de 2015, et plus encore l’été dernier, il ressort renforcé. Exit, en effet, en 2015, le patron des services de renseignement, Mohamed ­Médiène, tout comme l’ancien général Hocine Benhadid, condamné à neuf mois en prison pour s’être attaqué publiquement à Gaïd Salah.

L’homme a toujours porté la ligne « dure » dans la lutte contre le terrorisme et défendu avec jalousie la souveraineté de son pays, entretenant des relations empreintes de méfiance envers l’étranger et plus particulièrement vis-à-vis de la France. C’est d’ailleurs lui qui avait refusé la participation de l’Algérie aux opérations militaires au Sahel.

  • Tayeb Belaïz, l’arbitre du « 102 »

Tayeb Belaïz à Alger, en décembre 2011. / FAROUK BATICHE / AFP

Tayeb Belaïz, ancien magistrat, est né en 1948, à Maghnia, près de la frontière marocaine. Il a été plusieurs fois ministre (travail, justice), avant d’être désigné, en mars 2012, à la tête du Conseil constitutionnel. Fonction qu’il quitte en septembre 2013 pour le poste de ministre de l’intérieur, où il gérera l’élection, déjà contestée, du président Bouteflika à un quatrième mandat, en avril 2014. Le nom de Tayeb Belaïz a été cité dans le scandale de la Khalifa Bank mais, comme beaucoup d’autres personnalités du régime, il ne sera pas inquiété.

Celui qui était devenu, ces dernières années, ministre d’Etat et conseiller spécial du président, va se retrouver dans l’urgence à la tête du Conseil constitutionnel. Il remplace à ce poste Mourad Medelci, mort le 28 janvier des suites d’un cancer. Une « mission cinquième mandat » par excellence : le Conseil constitutionnel est en effet une institution névralgique chargée notamment de valider ou d’invalider les candidatures à l’élection présidentielle.

Installé officiellement le 10 février à la tête du Conseil constitutionnel, M. Belaïz n’aura, en définitive, pas à se prononcer sur un cinquième mandat, option emportée par la révolte pacifique des Algériens. Ce fidèle parmi les fidèles va cependant devoir se prononcer sur l’empêchement, pour raison de santé, du président Bouteflika, que réclame l’armée, en application de l’article 102 de la Constitution. Il pourrait aussi, en cas d’invalidation et d’empêchement d’Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la nation et deuxième personnage de l’Etat, le remplacer dans la fonction de président par intérim.

  • Abdelkader Bensalah, l’intérim

Abdelkader Bensalah à Alger, en décembre 2017. / ZOHRA BENSEMRA / REUTERS

Si le Conseil constitutionnel algérien valide l’empêchement du président Abdelaziz Bouteflika, Abdelkader Bensalah assurera l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président. Cet ancien journaliste au journal étatique Ech-Chaab (« le peuple ») est né en 1942, près de Tlemcen (ouest). Il est passé par les affaires étrangères, avant de présider, de 1994 à 1997, le Conseil national de la transition, le Parlement désigné après l’arrêt du processus électoral en janvier 1992.

Elu député sous les couleurs du Rassemblement national démocratique (RND), il devient le président de l’Assemblée nationale populaire (APN, Chambre basse) de 1997 à 2002. Sa carrière est confortée avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, en 1999, qui s’appuie ouvertement sur les gens de l’Ouest. Il est, depuis 2002, président du Conseil de la nation (Sénat) et de ce fait le deuxième personnage de l’Etat. Régulièrement, sa nationalité algérienne « d’origine », exigée pour exercer la charge de chef de l’Etat, est contestée. Il serait, selon ces assertions, un Marocain naturalisé après l’indépendance. Ce qu’il a toujours démenti.

Cacique, bon manieur de la langue de bois, M. Bensalah est un fidèle d’Abdelaziz Bouteflika. Il a été un ardent défenseur de la révision de la Constitution qui a permis, en 2008, la levée de la limitation des mandats et l’ouverture de la voie pour la présidence à vie de M. Bouteflika. Abdelkader Bensalah a également soutenu un cinquième mandat de ce dernier, qui a fait sortir en masse les Algériens dans les rues.