Soldat de l’opération française « Barkhane » entre Gao et Ménaka, au Mali, le 21 mars 2019. / DAPHNE BENOIT/AFP

Sur les conflits maliens et l’intervention militaire française démarrée en 2013, la revue Afrique contemporaine a voulu décentrer le regard. C’est ainsi qu’elle a confié un dossier sur ces questions sensibles à des chercheurs nord-américains, sous la direction de Bruno Charbonneau. Cet universitaire canadien est directeur du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix (Université du Québec, Montréal). Ses travaux ont notamment porté sur la politique sécuritaire de la France en Afrique, considérée comme un « nouvel impérialisme » (Routledge, 2008), et plus largement sur les questions de conflits et leurs résolutions en Afrique de l’Ouest.

Ce texte fait partie d’un dossier préparé depuis près d’un an pour la revue scientifique Afrique contemporaine éditée par l’Agence française de développement (AFD, ancien partenaire du Monde Afrique). Le conseil scientifique de la revue s’est montré intransigeant dans le processus d’évaluation de ce dossier. Deux textes ont été rejetés. D’autres ont du être significativement modifiés avant d’être validés. Mais l’AFD a finalement décidé de suspendre la publication du dossier, provoquant la démission du rédacteur en chef de la revue et celle de plusieurs chercheurs membres du conseil scientifique.

Tous dénoncent des « interférences d’ordre politique » dans la ligne éditoriale. Pour Bruno Charbonneau, il s’agit de « censure ». L’ancien « Monsieur Afrique » de François Hollande, Thomas Melonio, désormais directeur du département « Innovation, recherche et savoirs » à l’AFD est aussi directeur de la rédaction d’Afrique contemporaine. « Il n’y a eu aucune censure, précise-t-il. Une demande a été émise pour introduire de nouveaux articles scientifiques avec des points de vue contradictoires. » Les auteurs de ce dossier, détenteurs des droits sur leurs textes, refusent catégoriquement leur publication par Afrique contemporaine. Bruno Charbonneau a accepté que son texte soit publié en version réduite en exclusivité par Le Monde Afrique, partenaire privilégié de la revue, pour que ce travail scientifique puisse être lu, débattu, critiqué.

Analyse. Depuis 2013, le Mali a fait l’objet de nombreuses interventions militaires internationales. Celles-ci ont depuis dépassé les frontières maliennes pour couvrir le « Sahel », se combinant dans un dispositif militaire important : 12 213 casques bleus et 1 737 policiers déployés au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), 4 500 soldats français au sein de l’opération « Barkhane », 5 000 à 10 000 soldats prévus pour la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), 580 soldats au sein de l’EUTM Mali (European Union Training Mission) et un nombre significatif, quoique difficile à préciser, de forces américaines et européennes dans les pays du G5 Sahel, au Niger notamment, positionnées en appui plus ou moins direct aux efforts contre-terroristes. Cela sans compter la forte mobilisation internationale pour le développement, l’aide humanitaire ou l’agenda P/CVE (Prévenir ou contrer l’extrémisme violent), où organisations internationales et acteurs bilatéraux déploient chacun leur propre « stratégie Sahel ».

Malgré toutes ces dispositions, à en croire les multiples rapports du Représentant spécial du Secrétaire-général des Nations Unies sur la situation au Mali, les conditions de sécurité n’ont pas cessé de se détériorer depuis 2015. Alors que le processus de paix n’avance presque pas, l’efficacité des actions contre-terroristes est remise en doute par plusieurs, surtout dans un contexte de régionalisation de l’insécurité.

Quels sont les effets de ces interventions internationales sur les possibilités pour la paix et la réconciliation au Mali ? Quel impact ont-elles sur le processus de paix et sur la situation sécuritaire ? Nous soutenons que l’accent mis sur la lutte contre le terrorisme par les partenaires internationaux des Nations unies impose une logique sécuritaire aux possibilités pour la paix et produit des contradictions et des effets contre-productifs non négligeables. Face aux critiques concernant les limites du contre-terrorisme, la réponse a été de redoubler d’efforts via la création de la FC-G5S et une présence militaire étrangère en croissance au Sahel-Sahara, particulièrement au Niger. Cet acharnement contre-terroriste est perçu par plusieurs Etats comme nécessaire – une précondition même – à toute résolution politique au conflit. Une telle logique ne semble pas reconnaître, par contre, les tensions et les compromis inévitables entre les stratégies pragmatiques et à court terme du contre-terrorisme (comme la coopération avec les groupes armés) et les objectifs et les stratégies à long terme du maintien de la paix.

Conceptualiser l’intervention

Au Mali, la manière dont l’intervention militaire a été conçue justifie légalement et moralement la pratique. L’opération française Serval de janvier 2013 donnait le ton : selon le gouvernement français, il s’agissait de sauver le Mali des groupes terroristes qui menaçaient Bamako et, à terme, d’assurer la sécurité des pays voisins et même celle de l’Europe. Cette intervention militaire française fut avalisée post facto par le Conseil de sécurité des Nations unies, lorsque celui-ci créa la Minusma, en avril 2013. La Résolution 2100 (25 avril 2013), qui créait la mission, autorisait « l’armée française (…) à user de tous moyens nécessaires (…) d’intervenir en soutien d’éléments de la Mission en cas de danger grave et imminent à la demande du Secrétaire général » (article 18). Ainsi naissait une « division du travail » entre les forces de maintien de la paix de l’ONU et les forces contre-terroristes françaises. D’un côté, la mission onusienne devenait responsable du travail concernant les acteurs, les processus et les dynamiques légitimes liés aux efforts pour la paix et la réconciliation. De l’autre, les troupes françaises (et leurs soutiens alliés) devenaient responsables du travail concernant les activités et les actions de guerre contre-terroristes.

Les doctrines respectives du maintien de la paix et du contre-terrorisme permettent cette division du travail, tant d’un point de vue légal que normatif. Au sens étroit du concept, le maintien de la paix onusien fait référence à un cadre moral et éthique qui définit et limite les conditions légitimes de l’usage de la force militaire. Le maintien de la paix onusien est notamment considéré comme légitime parce qu’il est « moralement distinct » de la guerre, de la contre-insurrection et du contre-terrorisme. Ses principes fondateurs (le consentement de l’Etat hôte, l’impartialité et le recours minimal à la force dans le cadre des termes et objectifs du mandat de la mission) sont des guides et des paramètres sur les limites tolérables de la violence. Aussi, par définition, les casques bleus n’ont pas d’ennemi à tuer ou à détruire. Ce qui ne signifie pas que la coercition soit interdite ou impossible, seulement, toute utilisation de la force doit être autorisée selon le principe d’impartialité et à l’intérieur des paramètres du mandat de la mission. C’est ce qui distingue le maintien de la paix onusien des autres types d’opérations militaires.

Contrairement au maintien de la paix onusien, le contre-terrorisme repose sur l’identification d’un ennemi. Et contrairement, aussi, à la contre-insurrection, où l’insurgé est accepté comme un être rationnel et politique, l’ennemi terroriste est perçu ou jugé comme étant politiquement illégitime.

En 2012, le président français nouvellement élu, François Hollande, cherchait à éviter un engagement militaire français qui aurait inclus des troupes au sol. Il éprouvait en même temps plusieurs difficultés à convaincre le Conseil de sécurité de l’ONU de l’urgence d’une intervention militaire, malgré la montée en puissance des groupes armés islamistes pendant l’été 2012. L’insistance française quant à la menace globalisée d’un islam radical au Sahel, « à la porte de l’Europe » disait-on, était basée sur une analyse « largement orientée par des présupposés idéologiques qui ont souvent pris un tour patriotique et gaullien pour défendre la place d’une puissance moyenne sur la scène mondiale » (Montclos). La diplomatie française à l’ONU était surtout confrontée aux hésitations américaines. A l’automne 2012, encore, les Etats-Unis soutenaient la thèse d’une crise constitutionnelle – une affaire interne, concernant l’Etat malien – qui ne justifiait donc pas une intervention autre qu’africaine. Le déclenchement de l’opération « Serval », en janvier 2013, aurait ainsi surpris le secrétaire à la défense des Etats-Unis, Leon Panetta, lorsque son homologue français, Jean-Yves Le Drian, lui annonça le début des opérations. Alors que les deux gouvernements luttaient depuis plusieurs mois pour mettre au point une solution africaine au problème du nord du Mali, du point de vue américain, la décision française constituait un revirement presque total.

Fruit de ce « revirement », « Serval » allait ainsi transformer les enjeux et les perceptions. Avec « Serval », le gouvernement français recevait un soutien quasi immédiat, assorti d’éloges pour son intervention. Soudainement, le Mali devint le « nouveau » foyer de terroristes djihadistes, et un point névralgique pour les experts de la sécurité internationale affirmant la nécessité d’une action militaire. Depuis, « Serval » a ouvert la porte à la création d’une mission de maintien de la paix de l’ONU (Minusma) en 2013, à la création d’une nouvelle organisation régionale (G5 Sahel) ainsi qu’à la transformation de « Serval » en opération régionale « Barkhane » en 2014, et à la production de douzaines de stratégies « Sahel ».

Contexte international

Le Mali est ainsi rapidement devenu un terrain utile pour de nombreux acteurs de l’intervention et un enjeu politique pour des revendications concurrentes sur l’utilisation de la force et le futur du maintien de la paix. Premièrement, la justification la plus récente de la restructuration de la posture militaire et de l’engagement français en Afrique francophone est fondée sur la nécessité de la « guerre contre le terrorisme » pour « sauver » le Mali et le Sahel et, ainsi, défendre les frontières de l’Europe. Les dirigeants français et européens ne s’en cachent pas. De fait, l’intervention au Mali est devenue le terrain d’un vaste engagement international visant à transformer la gouvernance malienne dans le cadre d’une restructuration régionale des mécanismes de gestion des conflits au Sahel. Les approches non sécuritaires ou de développement tardent en effet à émerger, ce qui n’est pas pour surprendre dans un contexte où la logique sécuritaire de la « guerre contre le terrorisme » se présente comme une précondition au développement.

Force est en tout cas de constater que, malgré l’affichage de bonnes intentions et au-delà des grands discours sur les besoins en matière de développement, le G5 Sahel et ses partenaires internationaux ont bel et bien concentré leurs efforts sur le déploiement de la Force conjointe. Symbole de l’émergence d’une nouvelle architecture de sécurité régionale, la FC-G5S n’en paraît pas moins bien ambitieuse « au regard des contraintes matérielles, humaines et financières que rencontrent les armées nationales qui [la] composent » (Desgrais). Du moins le gouvernement français et ses alliés africains ont-ils ainsi créé un nouvel appareil militaire régional, autorisé par le Conseil de sécurité de l’ONU, appuyé par l’UE (qui le finance également) et par l’armée américaine, et financé par l’Arabie saoudite à hauteur de 100 millions d’euros. Un nouvel appareil régional qui demeure toutefois et en définitive, selon Nicolas Desgrais (2018a), « soutenu à bout de bras » par Paris.

Cette nouvelle architecture contourne les dispositifs régionaux existants, notamment la CEDEAO. Elle est également en concurrence avec le processus de l’Union africaine de Nouakchott de 2014, qui constitue un autre ensemble de mesures visant à relever les défis de sécurité auxquels la région est confrontée, et cela malgré quelques efforts de rapprochement entre les éléments des deux processus. Et même s’il y a désaccord et concurrence quant aux mécanismes et procédures à utiliser ou à mettre en place, il n’y a que peu ou pas de débat organisationnel quant à la nécessité et à la priorité de combattre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel. Malgré des interprétations légales divergentes, cette restructuration régionale est en partie justifiée par la Minusma, dont le mandat autorise le déploiement des troupes françaises et du G5.

Cette dimension régionale doit être aussi comprise dans le contexte des débats intenses sur l’avenir des opérations de maintien de la paix. De par l’association, présentée comme une « division du travail », des opérations contre-terroristes et de maintien de la paix de l’ONU, le Mali a révélé les enjeux sous-jacents de ces débats. En principe, la conviction qu’il est possible de distinguer les groupes terroristes des groupes non terroristes permet de faire la distinction entre les tâches contre-terroristes et celles de maintien de la paix. En pratique, cette distinction est difficile, voire impossible, compte tenu de la fluidité des appartenances, alliances et allégeances entre ou à l’égard de tel ou tel groupe, mais aussi des liens opérationnels entre les deux missions. « Barkhane » parie que l’utilisation de la force aura un effet « ontologique » : soit de faire de la distinction une réalité, en forçant les groupes armés et les individus à clarifier leurs allégeances. Afin de s’éviter les foudres des troupes françaises, les groupes armés auraient intérêt à se distancer des groupes terroristes.

Dans un contexte où Minusma et « Barkhane » collaborent, il n’est pas surprenant de constater que les populations locales peuvent associer le travail des deux missions. Le maintien de la paix de l’ONU se mêle ainsi à la contre-insurrection ou au contre-terrorisme, sapant sa prétention à l’impartialité. Au Mali, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cette division du travail ont exposé et même exacerbé une nouvelle « crise existentielle » des opérations de maintien de la paix de l’ONU (Novosseloff, 2018). La montée en puissance de l’agenda contre-terroriste amène John Karlsrud (2018) à conclure que « l’ONU est en guerre », compte tenu de la posture et des missions qu’elle a mises en place au Mali, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine. La crise consistant à savoir si les opérations de maintien de la paix de l’ONU doivent adopter des modes opératoires contre-terroristes. Les partisans de cette posture soutiennent que l’ONU devrait s’adapter au « nouvel » environnement stratégique, aux « nouvelles » menaces que constituent le terrorisme islamiste et l’extrémisme violent. Ses opposants soutiennent que l’autorité morale de l’ONU en termes de maintien de la paix est incompatible avec le contre-terrorisme.

Le propos ne doit cependant pas prêter à confusion : en pratique, les casques bleus de la Minusma n’agissent pas selon un mode opératoire contre-terroriste kinétique. Il est même très improbable qu’ils puissent devenir des forces contre-insurrectionnelles ou contre-terroristes proprement dites, compte tenu des limites opérationnelles fixées aux opérations de maintien de la paix, des restrictions organisationnelles des Nations unies et de la politique interne au secrétariat et au Conseil de sécurité des Nations unies. Ainsi, même si dans la pratique, l’ONU ne peut pas faire et ne fera pas de contre-terrorisme, cela n’empêche pas les autres de le faire sous le parapluie du mandat de la Minusma. C’est dans ce brouillard d’interventions militaires qui se chevauchent que les Maliens doivent faire la paix et la réconciliation.

Effets et enjeux pour la paix au Mali

Lors de son exercice d’évaluation, au début de l’année 2018, l’équipe de l’examen stratégique indépendant de la Minusma constatait que l’aggravation de la situation, notamment celle au centre du Mali, était associée « exclusivement à l’expansion de l’influence du terrorisme et de la criminalité organisée en provenance du Nord », au détriment du rôle des dynamiques locales et des causes profondes de l’instabilité. Ainsi, les interventions internationales au Mali et au Sahel sont largement conduites selon une approche sécuritaire, pour ne pas dire militaire, en l’absence d’un cadre politique et stratégique consensuel. La multiplicité et la multiplication des forces militaires étrangères au Sahel signalent une tendance forte dans la gestion et l’endiguement du terrorisme. Pour certains membres de la mission onusienne, le nouveau mandat de la Minusma en soutien à la FC-G5S porte le risque de transformer la mission onusienne en fournisseur de services, l’éloignant davantage de sa mission politique et la rapprochant des logiques sécuritaires. De plus, le soutien des intervenants internationaux aux forces de sécurité maliennes encourage l’Etat malien à poursuivre une approche axée sur la sécurité.

Quoique les marges de manœuvre des uns et des autres ne doivent pas être négligées, l’ampleur des effets de la grille d’analyse basée sur la « guerre contre le terrorisme » doit être prise au sérieux. Certains membres du gouvernement à Bamako ne veulent pas toujours faire la différence entre les djihadistes et les rebelles touareg, inférant qu’ils sont essentiellement les mêmes. Dès les débuts de la crise, Bamako demandait d’ailleurs à l’ONU d’imposer l’état de droit et de combattre les « terroristes » dans le nord. Comme le disait un membre du gouvernement : « L’ONU devrait faire son travail et casser ces terroristes. » Un discours de vengeance à l’encontre des insurgés et des terroristes du nord, sans distinction, demeure bien vivant à Bamako. En l’absence de l’administration de l’Etat, d’un système de justice fonctionnel et de moyens de commandement et de communication adéquats, l’armée est plus ou moins laissée à elle-même au centre du Mali. Un premier effet de cette grille d’analyse est donc que le contre-terrorisme peut devenir un motif au harcèlement, à l’arrestation, voire à l’élimination de suspects ou d’individus « profilés » comme terroristes, tels les Peuls au centre du Mali

Les autorités maliennes peuvent certes manquer de volonté ou de courage politique pour mettre en œuvre l’Accord de 2015, mais cette critique est facile, et sous-estime souvent les défis à relever et prend rarement en compte les obstacles constitués par l’intervention internationale. Il y a en effet peu de motivation, et peu de moyens, pour l’Etat malien, à se réinvestir et à asseoir son autorité dans les régions où il est absent, du moins à court terme. Bien au contraire, l’absence de l’administration, de l’armée et des fonctionnaires dans le nord du pays est comblée, en partie, par la présence des casques bleus, des soldats français, et potentiellement des soldats du G5 Sahel. Ainsi se présente un second effet de l’intervention internationale, soit un cercle vicieux – un paradoxe – créé par l’intervention internationale au Mali : la présence militaire internationale est autorisée sur la double base du conflit malien et de ses racines « terroristes », se posant comme une condition nécessaire à la restauration de l’Etat malien, et dans le même temps elle mine le retour de l’Etat malien de par sa présence même. Pas étonnant que les généraux français puissent affirmer qu’ils seront au Mali et au Sahel pour les quinze à vingt prochaines années. Pas étonnant non plus que certains représentants de l’Etat malien puissent se plaindre de la violation de leur souveraineté. Dans un tel contexte, la restauration de l’autorité de l’Etat semble en effet inconcevable, autant que le retrait des troupes internationales.

Un deuxième paradoxe s’observe via les effets déstabilisateurs d’une intervention qui vise la stabilisation du Mali. D’abord, l’acharnement contre-terroriste a permis de négliger pendant trop longtemps la détérioration de la situation au centre du Mali, situation que le Conseil de sécurité a parfois paru réticent à aborder, et qui souligne la complexité des conflits au-delà des commentaires et des analyses sur le terrorisme autant que des interprétations sur un conflit Nord-Sud. Les dynamiques conflictuelles au centre du Mali révèlent en effet la pauvreté d’une grille d’analyse fixée sur le seul terrorisme, qui obscure les racines multiples, qui incluent des enjeux de gouvernance et de justice, les dynamiques foncières et les relations intercommunautaires, les questions liées à l’intégration régionale et aux changements climatiques, le développement et les institutions patriarcales.

L’intervention internationale est donc confrontée à un double paradoxe. D’un côté, elle vient à remplacer l’Etat dont elle cherche à « restaurer l’autorité ». De l’autre, elle exacerbe ou néglige certaines dynamiques violentes, en présentant les tactiques et les idéologies terroristes comme la source principale de l’insécurité, en reléguant au second rang des priorités les doléances politiques et économiques qui sont pourtant au cœur des conflits, tout en soutenant un Etat dont l’autorité est discréditée aux yeux de larges segments de la population.

Effets sur la Minusma

L’impact de la Minusma sur les possibilités de résolution des conflits est limité du fait même du déploiement de la mission aux côtés de forces contre-terroristes, malgré la proclamation d’une « division du travail ». A l’exception de la base de Mopti, tous les camps de la Minusma sont contigus, voire communs, à ceux de la force « Barkhane ». La Minusma offre un soutien logistique aux forces françaises (qui sont aussi dépendantes des troupes américaines pour le transport stratégique). Les éléments de la mission onusienne qui recueillent des données de renseignement les partagent parfois avec « Barkhane », tandis que cette dernière continue de protéger le secret de ses renseignements et de ses opérations.


Conclusion

L’intervention internationale au Mali, et plus largement au Sahel, est conduite selon une logique prioritairement sécuritaire. Cette logique est fondée sur la base d’un cadre conceptuel douteux et d’une grille d’analyse peu rigoureuse, soit l’accent mis sur la menace dite terroriste. Ainsi, les aspects politiques de la mise en œuvre de l’Accord sur la paix et la réconciliation de 2015 sont du recours de l’Etat malien qui, si l’on suit la logique, devrait profiter de l’espace ouvert par les forces contre-terroristes. La Minusma doit pour sa part appuyer les efforts de l’Etat malien, incluant le redéploiement des forces armées maliennes aux fins de contrôler tout le territoire. Pourtant, les efforts contre-terroristes ont des effets paradoxaux qui peuvent contredire cette logique. La motivation de l’Etat à s’investir politiquement dans la résolution des conflits se trouve réduite du fait qu’il lui semble plus facile d’instrumentaliser la rhétorique contre-terroriste. Les groupes armés pouvant eux aussi agir selon une logique similaire.

Au final, notre analyse suggère le besoin d’étudier la manière dont les interventions internationales au Mali façonnent et sont façonnées par les conditions et les dynamiques conflictuelles. Elle souligne également la nécessité politique de reconnaître les tensions inhérentes à la « division du travail » et les compromis inévitables qu’elle engendre entre les stratégies contre-terroristes et celles relatives au maintien de la paix. Ne pas admettre ces tensions et ces compromis revenant à vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Bruno Charbonneau, professeur agrégé au Collège militaire royal de Saint-Jean et directeur du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix de la chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec, à Montréal (Canada).