« Gilets jaunes » : à Bordeaux, des commerçants tiraillés entre l’envie de rester ouverts et la peur des violences
« Gilets jaunes » : à Bordeaux, des commerçants tiraillés entre l’envie de rester ouverts et la peur des violences
Par Claire Mayer (Bordeaux, correspondance)
Le nouveau maire de la ville, Nicolas Florian, avait appelé à une « ville morte », craignant « une journée apocalyptique ». Environ 5 000 personnes ont manifesté samedi.
Des policiers face aux « gilets jaunes » venus manifester à Bordeaux pour l’acte XX du mouvement, samedi 30 mars. / MEHDI FEDOUACH / AFP
Le communiqué du nouveau maire de Bordeaux, Nicolas Florian, a surpris, vendredi 29 mars :
« Devant la présence annoncée de centaines de casseurs et de risques avérés de dégradations et de violences, j’invite les Bordelais qui souhaitent se rendre en centre-ville ce samedi à la plus grande prudence et même à différer leur déplacement en restant chez eux. »
L’élu a encouragé les commerçants à « baisser leur rideau pour se protéger », appelant à une « ville morte » : « C’est une journée qui peut être apocalyptique. »
Les mots du maire ont immédiatement été relayés auprès de nombreux commerçants. « Les trams s’arrêtent à 11 heures, c’est devenu une journée compliquée pour nous », explique Laure Lichtenthaler, fleuriste qui a décidé samedi de fermer à 15 heures les portes de sa boutique. Située à proximité du tribunal de grande instance, à quelques pas de la place Pey-Berland, théâtre des affrontements récents, elle préfère ne pas prendre de risques.
Comme elle, de nombreux commerçants ont écouté l’appel de Nicolas Florian, et ont
fermé boutique en début d’après-midi. Dans le quartier de la porte Dijeaux, près de la place
Gambetta, les rues étaient vides. Toutes les grandes enseignes avaient tiré leurs rideaux de fer, et les badauds, généralement très nombreux à arpenter ce quartier le samedi, n’étaient pas au rendez-vous en cette journée printanière.
Céline Lepinay a fini par fermer sa boutique de vêtements. Une de ses clientes juriste lui a indiqué que les assurances ne couvriraient pas les dommages qui pourraient être occasionnés, en raison de la demande conjointe de la préfecture et de la mairie :
« Je ne comprends pas ce conseil lancé par le maire. Nous avons également une boutique à Nantes. Ce week-end, une braderie a lieu sans encombre, le contraste est saisissant entre les deux villes. »
A l’angle de la rue, la pharmacienne s’inquiète :
« C’est compliqué pour nous de fermer, nous sommes un service de santé. Il est devenu difficile de travailler le samedi, de nombreux blessés viennent nous demander de l’aide. Mais nous ne sommes pas un service d’urgences non plus. »
« On perd déjà trop pour pouvoir se permettre de fermer »
Christian Baulme, président de l’association des commerçants La Ronde des quartiers, pensait hier qu’« il y aurait au moins 90 % des commerces fermés ». Nombre d’entre eux ont en effet préféré ne pas prendre de risque, mais un certain nombre a décidé de résister. Chez Plume, rue Cheverus, la terrasse est habituellement pleine, et les places sont chères le samedi. Aujourd’hui, ils ont voulu ouvrir comme d’habitude. Pour Julie Harter, qui y travaille depuis plusieurs années, « c’est plus facile de casser un restaurant vide qu’ouvert ». Et d’ajouter : « Nous sommes des citoyens, on laisse entrer ceux qui pourraient en avoir besoin. » Lors de précédentes manifestations, des militants ont fui des jets de gaz lacrymogène.
Dans une boutique de créateurs, une vendeuse apprend la présence dans le cortège d’Eric Drouet et de Jérôme Rodrigues, deux figures du mouvement. Elle s’interroge, hésite à fermer. Finalement, elle décide de prendre le risque. « On perd déjà trop pour pouvoir se permettre de fermer complètement. »
Un avis que partage Arthur Dubus, gérant du magasin de basket Strictly, plus bas dans la rue : « On ne va pas baisser notre froc ! », clame-t-il. Les manifestations ont déjà engendré de grosses pertes pour la boutique, en particulier pendant les soldes. Alors, ils sont à l’affût, se tiennent informés, « mais nous ne plierons pas », disent-ils.
Environ 5 000 personnes ont manifesté dans la ville. En milieu d’après-midi, les premiers incidents ont éclaté. Cour de la Marne, une agence du CIC a été vandalisée, tandis qu’un feu était allumé place de la République grâce à des objets de chantier récupérés. Les commerçants ouverts échangent à l’aide de groupes Whatsapp, tentent d’obtenir des informations et de se soutenir. L’ambiance est anxiogène, et chacun espère voir vite le bout de cette journée.