« Il a été élu » : quand le Quai d’Orsay censure les propos de Le Drian sur Ali Bongo
« Il a été élu » : quand le Quai d’Orsay censure les propos de Le Drian sur Ali Bongo
Par Augustine Passilly
Paris n’a jamais reconnu formellement l’élection du président gabonais, contrairement à ce qu’aurait pu laisser croire une récente déclaration du ministre des affaires étrangères.
L’événement s’est produit le 20 mars, alors que Jean-Yves Le Drian répondait aux questions des députés français de la commission des affaires étrangères. Bruno Fuchs, élu du Mouvement démocrate dans le Haut-Rhin, l’interpelle sur le Gabon, pays dont le président, Ali Bongo, a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) le 24 octobre 2018 en Arabie saoudite, puis transféré pour sa convalescence au Maroc – il reviendra finalement dans son pays le 23 mars. Le député veut savoir si, selon le ministre des affaires étrangères, le pouvoir gabonais est vacant, et, dans le cas contraire, combien de temps cette « présidence à distance » pourrait durer.
Réponse de M. Le Drian : « Le gouvernement gouverne, la nouvelle Assemblée nationale issue des législatives a été installée. » Puis il conclut :
« Le président Bongo a été victime d’un AVC, il se remet au Maroc et on peut espérer qu’il pourra reprendre ses activités normalement. Il a été élu, l’Assemblée nationale a été élue, il y a un gouvernement, les institutions fonctionnent. La réalité est celle-là. »
Seulement, dans la retranscription officielle sur le site du ministère des affaires étrangères, ces trois dernières phrases ont disparu.
Pas de félicitations officielles
Pour tenter de comprendre les raisons de ce coup d’effaceur, il faut revenir en 2016. Ali Bongo occupe la présidence du Gabon depuis sept ans lorsque le premier ministre français de l’époque, Manuel Valls, provoque une légère crise démocratique en affirmant le 16 janvier, sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché », que le président n’a pas été élu « comme on l’entend ». Matignon avait alors évité, de justesse, le rappel de l’ambassadeur gabonais.
Le 27 août de la même année, briguant un second mandat, Ali Bongo est de nouveau proclamé vainqueur de l’élection présidentielle par la Commission nationale électorale autonome et permanente (Cénap). Pointant d’évidentes irrégularités, Jean Ping, son rival, dépose un recours devant la Cour constitutionnelle, en vain. En France, Jean-Marc Ayrault, alors ministre des affaires étrangères, émet lui aussi des réserves sur ces résultats : « Il y a la Cour constitutionnelle gabonaise qui s’est prononcée, il y a eu des recours, c’est ce que nous avions recommandé ; il reste toujours un doute », déclare-t-il le 29 septembre sur Europe 1.
Rapidement, la position officielle évolue vers une acceptation, à défaut d’une reconnaissance, de l’élection d’Ali Bongo. Les autorités françaises prônent en effet la non-ingérence. « La France estime que les autorités du Gabon ont la responsabilité première de prendre toute initiative permettant de restaurer la confiance des Gabonais en leurs institutions », écrit Dominique Ceaux, chef de cabinet du président François Hollande, le 18 octobre 2016, en réponse à une lettre du Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique. « La France n’a jamais reconnu formellement cette élection, observe Frédérick Mba Missang, chercheur gabonais associé à Sciences Po Bordeaux. La preuve, c’est que le président français n’a jamais félicité de manière officielle le président Ali Bongo. »
Rares apparitions télévisées
La réécriture des propos de Jean-Yves Le Drian démontre que Paris n’a pas fini de marcher sur des œufs en Afrique, en particulier dans ce pays d’Afrique centrale qui incarna pendant des décennies les méandres de la Françafrique. « En supprimant cette partie de son discours, c’est une manière de dire aux Gabonais : “Nous ne reconnaissons pas ce pouvoir, il vous revient d’agir” », interprète Frédérick Mba Missang. De leur côté, les opposants font entendre leur voix jusqu’à Paris. Le 11 novembre, une messe à l’intention d’Ali Bongo dans l’église du Saint-Esprit (XIIe arrondissement) a ainsi été interrompue aux cris d’« assassin ».
La contestation qui entoure le pouvoir du président gabonais s’est renforcée depuis son AVC. « Ce n’est pas l’accident d’Ali Bongo qui a ravivé l’opposition, mais les dysfonctionnements politiques liés à son absence, précise Frédérick Mba Missang. Le président n’étant pas sur place, il y a eu des troubles allant jusqu’à la tentative de putsch [du 7 janvier]. Cette série d’événements a réveillé l’opposition et lui a redonné un certain espoir. » Et ce ne sont pas les rares apparitions télévisées du président qui viennent rassurer ses concitoyens sur son état de santé.
En attendant le rétablissement d’Ali Bongo, le Quai d’Orsay travaille en tout cas au maintien des bonnes relations. Dans la retranscription du discours du ministre, l’annonce d’un colloque d’affaires franco-gabonais a d’ailleurs été conservée. Organisé par Business France, une structure chargée notamment d’aider les entreprises françaises à se projeter à l’international, il s’est tenu le 29 mars au Sénat. Contacté, le ministère des affaires étrangères explique que « le texte qui figure sur le site est une reprise de la transcription officielle réalisée par les services de l’Assemblée nationale ».