DVD : « Les Hommes le dimanche », une ode aux plaisirs simples dans le Berlin de 1930
DVD : « Les Hommes le dimanche », une ode aux plaisirs simples dans le Berlin de 1930
Par Mathieu Macheret
Un chef d’œuvre du cinéma muet finissant, largement improvisé et tourné par un collectif de débutants parmi lesquels de futures figures hollywoodiennes.
On ne filme pas le dimanche comme n’importe quel autre jour de la semaine. En ce jour particulier, la fiction épuisée par ses drames et péripéties semble devoir déposer les armes devant le passage des moments libres et des heures perdues. C’est en tout cas une telle ambition de filmer le repos, le loisir, la détente, tout ce temps résiduel et disponible des gens ordinaires, qui présida à la réalisation des Hommes le dimanche, petite merveille issue des derniers temps d’insouciance de la République de Weimar et qui, au seuil des années 1930, donna au cinéma muet finissant l’un de ses chefs-d’œuvre. L’éditeur Tamasa, qui inaugure avec cet inédit une nouvelle collection consacrée aux classiques du cinéma allemand, le rend enfin disponible dans un sobre combiné DVD et Bluray.
Tournés au débotté par un collectif de jeunes débutants dans les rues et les parcs naturels de Berlin, Les Hommes le dimanche est resté célèbre pour avoir réuni autour de sa fabrication, à l’instigation du critique Moritz Seeler, plusieurs personnalités qui seraient par la suite amenées à connaître une carrière illustre en France ou à Hollywood : Robert Siodmak (Les Tueurs, 1946), Edgar G. Ulmer (Détour, 1945), Billy Wilder (Certains l’aiment chaud, Boulevard du crépuscule), le chef opérateur Eugen Schüfftan ou encore Fred Zinneman (Le Train sifflera trois fois, 1952), dont les attributions n’ont jamais été clairement établies. Cofinancé pour une somme dérisoire et en grande partie improvisé, le film est joué par cinq anonymes recrutés dans les rues de Berlin, avec les passants de la ville pour toute figuration.
Une sensibilité de l’instant
Ils et elles sont chauffeur de taxi, colporteur, vendeuse de mode, actrice et mannequin. Ils se rencontrent ou se retrouvent dans l’affairement d’un samedi banal à Berlin et se donnent rendez-vous le lendemain au bord du lac Wannsee, en périphérie. Le dimanche, c’est toute la physionomie de la ville qui change, désormais rayonnante, pratiquable et pleine de possibilités. Au vert, les quatre amis – moins une jeune femme restée au lit – se baignent, pique-niquent, se dorent la pilule, batifolent, se tournent autour, badinent dans les bois, font un tour de pédalo avant de rentrer gentiment au bercail et commencer une nouvelle semaine. Le film ne raconte rien d’autre que cette aimable vacance, mais avec une sensibilité de l’instant (voire de l’« instantané ») qui fourmille d’une multitude d’événements : les mille sensations qui éclaboussent les personnages (éclats de lumière, souffle du vent, corps alanguis), comme la trame secrète d’aspirations et de désirs, mais aussi de cruautés et de vexations (papillonnement volage des amourettes esquissées), qui sous-tend leur partie dominicale.
Les Hommes le dimanche alterne avec ce récit minimal des séries de vues documentaires saisissant le Berlin d’avant-guerre (monde bientôt englouti) sous de nombreuses facettes : celles de la circulation et des foules empressées, mais aussi des petits métiers, des transports et des monuments (quelques pieds-de-nez aux symboles du pouvoir), ou des vastes plages de nature qui en sertissent les confins. Le film avance par digressions et libres rebonds, s’agrippe aux hasards des personnes ou des motifs, comme lors de cette magnifique scène prenant pour prétexte la présence d’un photographe pour collectionner les faciès des badauds, occasionnant toute une suite de portraits insolites, cocasses et finalement émouvants. Le visage général de la ville et ceux des particuliers qui la composent se mêlent dans un brassage vagabond. La caméra surprend l’abandon des corps, les mines renversées, l’ensoleillement des épidermes, scrute les effusions de bonheur, toutes choses qui désignent en creux la morosité des existences urbaines et leur besoin de se réchauffer au dehors, de tout oublier.
Avec cette ode lumineuse aux plaisirs simples et à l’expansion des rêves, Siodmak et sa bande posaient les bases d’un cinéma libre, buissonnier, spontané, précurseur de toutes les « nouvelles vagues », car sachant débusquer à travers hasards et accidents la grâce ineffable du réel.
Film allemand (1930) de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer (1 h 20). 1 Blu-ray + 1 DVD + 1 livret, Tamasa Diffusion, 24,95 €. Sur le Web : www.tamasa-cinema.com