Avec le ralentissement de la croissance, l’Allemagne s’interroge sur sa politique budgétaire
Avec le ralentissement de la croissance, l’Allemagne s’interroge sur sa politique budgétaire
Par Cécile Boutelet (Berlin, correspondance)
Le PIB de la première économie de la zone euro ne devrait progresser que de 0,5 % en 2019. Une mollesse qui pousse certains économistes à remettre en question le dogme de l’équilibre budgétaire.
Le ministre de l’économie allemand, Peter Altmaier, mercredi 17 avril, à Berlin. / TOBIAS SCHWARZ / AFP
Le coup de froid qui s’est abattu sur l’économie allemande à l’été 2018 va perdurer cette année. La première économie de la zone euro ne devrait connaître, en 2019, qu’une minicroissance, à 0,5 %, a annoncé, mercredi 17 avril, le ministre de l’économie, Peter Altmaier. C’est une division par deux de la performance économique attendue jusqu’alors pour cette année : en janvier, le gouvernement tablait encore sur 1 %, et même 1,8 % à l’automne 2018. Ce net ralentissement, déjà anticipé par les grands instituts économiques du pays, début avril, est essentiellement lié aux incertitudes qui pèsent sur le commerce extérieur.
Mercredi matin, cependant, Peter Altmaier s’est voulu confiant : le passage à vide ne devrait pas durer, estime-t-il. Et aucune récession n’est à attendre. Le ministre table sur la solidité de la consommation intérieure et sur les effets des baisses d’impôt pour les particuliers pour maintenir l’activité économique. Les prévisions de croissance du gouvernement pour 2020 restent à 1,5 %. Peter Altmaier a néanmoins insisté sur la nécessité de procéder à des baisses d’impôt sur les entreprises, réclamées depuis plusieurs mois par les fédérations industrielles pour encourager les investissements privés.
« Nous nous sommes emmurés »
Mais certains économistes suggèrent d’aller encore plus loin. Ils s’attaquent à un principe devenu sacro-saint en Allemagne : le « zéro noir », autrement dit, l’équilibre budgétaire. Le tabou de la dette publique est devenu, en 2009, un principe constitutionnel : le « frein à la dette » interdit à l’Etat fédéral de contracter de nouvelles dettes au-delà de 0,35 % du produit intérieur brut (PIB), sauf en cas de récession sévère ou de catastrophe naturelle. A partir de 2020, les Länder n’auront plus le droit d’émettre aucun emprunt public pour se financer. C’est une des réformes emblématiques de l’ère Angela Merkel – au pouvoir depuis 2005 –, qui a contribué à la spectaculaire décrue de la dette allemande.
Mais, fin février, Michael Hüther, le président de l’institut économique de Cologne, proche du patronat, a dénoncé le « carcan » du frein à la dette. « Nous nous sommes emmurés », a-t-il déclaré. Seuls quelques économistes de sensibilité de gauche osaient, jusqu’ici, s’attaquer de front à ce principe. C’est notamment le cas de Marcel Fratzscher, président de l’institut économique de Berlin, qui dénonce, depuis longtemps, les effets délétères à long terme du manque d’investissement public en l’Allemagne.
Populaire dans l’opinion, le « zéro noir » est presque devenu un fétiche des responsables politiques allemands. Mais, alors que la conjoncture bat de l’aile et que l’industrie s’inquiète de sa compétitivité face à la concurrence chinoise et américaine, le débat prend de l’ampleur parmi les économistes : à défendre à tout prix l’équilibre budgétaire, au détriment des investissements, ne risque-t-on pas de compromettre la croissance et l’avenir des générations futures ?
« Une ancre politique »
Dans les colonnes du quotidien Süddeutsche Zeitung, Michael Hüther a réitéré, mardi 16 avril, son argumentaire : dans un contexte de ralentissement économique et de faiblesse des taux d’intérêt (parfois négatifs, dans le cas des bons du Trésor allemands), il faut accepter de s’endetter pour investir sur les sujets prioritaires : l’éducation et les infrastructures. « Des manques gravissimes sont apparus dans les biens publics : écoles, ponts et routes vétustes ; un secteur éducatif sous-financé ; un Internet lent et non fiable ; une armée dans un état déplorable. Ces déficits sont devenus des freins essentiels aux investissements privés », dénonce M. Hüther dans une tribune cosignée avec Jens Südekum, professeur à l’institut d’économie de Düsseldorf.
Malgré la portée de ces critiques, le consensus entre experts pour une réforme du frein à la dette est loin d’être acquis. Ainsi, les « sages », ces experts qui conseillent le gouvernement en matière économique, estiment dans leur majorité que cet outil est « une ancre politique » qui a permis de « discipliner » les gouvernants. Mais le consensus de 2009 tangue.
Paradoxalement, l’un des plus grands protecteurs actuels du « zéro noir » est le ministre social-démocrate des finances, Olaf Scholz, qui défend l’équilibre budgétaire contre certains de ses amis politiques, qui souhaitent une réforme du frein à la dette. Mais pas question pour le ministre, qui caresse le rêve de devenir un jour chancelier, d’apparaître comme moins « vertueux » que son prédécesseur, Wolfgang Schäuble. Celui-ci avait fait de l’équilibre budgétaire et de la baisse de la dette publique le socle de sa popularité.
Les chiffres
1 912 milliards
C’est, en euros, l’état actuel de la dette publique allemande, qui régresse depuis quatre ans. Selon le ministère des finances, la dette devrait être ramenée sous la barre des 60 % du produit intérieur brut (PIB) en 2019.
58 milliards
C’est, en euros, l’excédent budgétaire record enregistré par l’Allemagne en 2018, selon l’institut Destatis.
159 milliards
C’est, en euros, le retard d’investissement dans les infrastructures accumulé par les communes allemandes, constaté par la banque publique d’investissement KfW, en juillet 2018.
1,5 %
C’est la croissance allemande en 2018, en net recul par rapport aux deux années précédentes (2,2 %).