« LE MONDE »

« Michel Strogoff », de Jules Verne, Le Monde, 392 p., 10 €. En kiosque.

Placé entre le huis clos maritime et cannibale du Chancellor (1874, récit de naufrage et de survie à tout prix inspiré par l’histoire du radeau de La Méduse) et Hector Servadac (1877, épopée cosmique et fantaisie céleste délirante), ­Michel Strogoff (1876) s’avère, lui, un récit de l’espace terrestre, rivé au sol et soumis aux coups et ­contrecoups de l’histoire. Ce seizième voyage extraordinaire (appelé à être adapté près de quinze fois à l’écran) fut, en effet, soumis par l’éditeur Hetzel à l’appro­bation de la diplomatie russe et à l’avis de l’écrivain Ivan Tourgueniev (1818-1883).

Un travelling géographique

Le récit, épique et édifiant, se ­résume aisément : alors qu’un soulèvement général des tribus tartares, conseillé par le traître Ivan Ogareff, se produit aux ­confins sibériens de l’empire du tsar, ce dernier confie à Michel Strogoff, membre de l’unité des courriers impériaux, la mission à haut risque d’aller remettre un pli à son grand-duc de frère, assiégé dans Irkoutsk. L’occasion pour le lecteur d’un travelling géographique de 5 000 kilomètres passant par Nijni-Novgorod, Kazan, Perm, Ekaterinbourg, Omsk…, et pour le héros éponyme d’un redoutable périple au cœur de la steppe.

La traversée, menée à bien en compagnie de la fidèle Nadia et des journalistes Blount et Jolivet, lui vaudra d’assister à la foire de Nijni-Novgorod, de descendre la Volga, de franchir l’Oural puis la Baraba, marais saumâtre et infesté de moustiques, le fleuve Yenisseï ou le lac Baïkal… Dans un camp tartare régi par le cruel Ivan Ogareff, il retrouvera sa mère, Marfa, avant d’être supplicié, un sabre ­ardent le rendant temporairement aveugle.

Titan impavide

Sibérien et non russe, titan impavide à la force herculéenne (il tue et écorche son premier ours à 14 ans), modèle de fidélité et ­d’esprit de sacrifice, Michel Strogoff, en qui Michel Serres voit un lointain descendant d’Œdipe, est soumis par Verne, au long du roman, à toutes formes d’épreuves, physiques et morales. Ce marathon sacrificiel et exaltant réalise au mieux le projet du romancier : « Ce n’est pas l’histoire de ses succès, c’est l’histoire de ses épreuves qui méritait d’être racontée. »

« Le Monde » présente les « Voyages extraordinaires » de Jules Verne dans la collection Hetzel, sur le Net et sur YouTube