« Emmanuel Macron assume de revenir à son discours originel »
« Emmanuel Macron assume de revenir à son discours originel »
Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », a répondu à vos questions pour commenter et analyser la première conférence de presse du chef de l’Etat.
Le premier ministre, Edouard Philippe (à droite), avec à sa gauche les ministres Nicole Belloubet, Agnès Buzyn et Gérald Darmanin écoutent Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse au palais de l’Elysée, à Paris, jeudi 25 avril. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
Démocratie, fiscalité, climat… Emmanuel Macron a présenté, jeudi 25 avril, ses conclusions à l’issue du grand débat national lors d’une conférence de presse inédite qui a duré près de deux heures et demie. Pour Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde, Emmanuel Macron a pris un risque en manifestant « sa volonté d’aller de l’avant et de ne rien renier des orientations prises au début du quinquennat ».
Hak : Y a-t-il eu de véritables annonces ? Qu’en pensez-vous ?
Oui, il y a eu des annonces pour tenir compte de ce que le président de la République avait ressenti à l’issue de trois mois de débat national mais la plupart étaient déjà connues, puisqu’il y a eu des fuites dans la presse la semaine passée. L’intérêt de la conférence de presse – la première du quinquennat – portait moins sur le détail de ces annonces que sur la tonalité des propos du président.
Au fond, Emmanuel Macron avait le choix entre deux solutions : soit faire un acte de contrition en disant qu’il avait voulu aller trop vite ou qu’il s’était trompé sur certaines mesures, soit au contraire manifester sa volonté d’aller de l’avant et de ne rien renier des orientations prises au début du quinquennat, quitte à ajuster le tir sur certaines mesures. C’est clairement cette deuxième option qu’il a prise. « Tout arrêter ce serait faire fausse route », a-t-il d’emblée déclaré.
En agissant ainsi, il prend évidemment un risque. Une partie de l’opinion va lui reprocher de ne pas avoir suffisamment entendu la colère ou la souffrance. Mais il assume de revenir à son discours originel. Dans son discours d’investiture de mai 2017, il parlait déjà de « l’esprit de conquête ». II a dû faire le calcul que renoncer à cet « esprit de conquête » lui coûterait plus que d’entamer un véritable virage dans son quinquennat.
Sa tactique consiste à rassurer l’électorat qui l’a élu au premier tour de l’élection présidentielle, quitte à lui adjoindre aussi une partie de l’électorat de droite, auquel il a fait d’évidents appels du pied en préconisant par exemple l’allongement de la durée du travail, et en insistant aussi, comme le fait François-Xavier Bellamy, le candidat Les Républicains aux élections européennes, sur la « préservation des fondamentaux français ».
André-Sz : Donc aucune mesure réellement percutante qui pourrait changer la situation immédiate et inciter à l’arrêt du mouvement des « gilets jaunes » ?
Emmanuel Macron est resté très circonspect par rapport au mouvement des « gilets jaunes ». Il ne veut visiblement pas être prisonnier des revendications qui continuent de s’exprimer aujourd’hui, parce qu’il considère que le mouvement, au fil du temps, a changé de nature. Il parle d’un mouvement « récupéré par l’antisémitisme, l’homophobie », il insiste sur la nécessité de « rétablir l’ordre public », il ne concède au mouvement que d’avoir, au début (entre novembre et décembre), fait apparaître au grand jour un certain nombre de questions qui travaillent le pays depuis des années.
Il dit avoir entendu le « sentiment d’injustice fiscale », le « manque de considération » de certains citoyens, le « manque de confiance dans les élites », et le « manque d’efficacité des politiques publiques ». Mais il ne veut afficher aucune complaisance vis-à-vis des revendications les plus radicales. C’est délibérément qu’il n’a pas repris à son compte les revendications qu’on peut encore entendre dans les manifestations, telles que la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et le référendum d’initiative citoyenne (ISF).
JMD44 : Avons-nous une explication valable concernant le refus de reconnaissance du vote blanc ?
Votre question est d’autant plus pertinente que le président de la République lui-même avait envisagé de reconnaître le vote blanc. Le vote blanc, cela permet au citoyen de dire qu’il veut participer au système électoral, mais qu’il ne se reconnaît dans aucun candidat. Donc c’est une façon de reconnaître le malaise démocratique actuel ; mais c’est aussi une façon de l’accroître en permettant au citoyen de ne pas choisir, à un moment où la démocratie peut connaître des moments de tension et de rupture. Avant de le légaliser, il faut vraiment réfléchir aux avantages et aux inconvénients.
Myriam : Sur l’écologie, c’est pas un peu léger ?
Il ne faut pas oublier que le mouvement des « gilets jaunes » a été provoqué par une mesure qui devait favoriser l’écologie, la taxe carbone. Depuis, le gouvernement est au point mort sur la trajectoire carbone. Il se rend bien compte que s’il remet la mesure en marche, il va s’attirer une volée de bois vert, et que s’il ne fait rien la lutte contre le réchauffement climatique va en prendre un coup. L’idée d’Emmanuel Macron, c’est donc de renvoyer la patate chaude aux citoyens. L’idée qu’il a émise est de tirer au sort un jury citoyen pour recenser les mesures, les ressources, les financements qui aideraient à la cause écologique. Cette convention des citoyens devra travailler vite – elle devra rendre ses conclusions en juin, et le président s’est engagé à les soumettre soit au vote du Parlement soit éventuellement à un référendum.
Le président a par ailleurs annoncé la création d’un conseil de défense écologique, dans lequel viendraient le premier ministre et les grands opérateurs de l’Etat, pour définir quelques grands choix stratégiques, mais c’est vrai que tout cela reste flou. On a l’impression que le gouvernement a pris conscience que l’écologie punitive ne marchait pas, et qu’il était en quête d’une nouvelle méthode dont il n’a pas encore les clés.
Paul : Macron a-t-il été bon dans ce nouvel exercice ?
Vues les circonstances, on peut dire que sa prestation est réussie. Au lieu de paroles dévitalisées par un conflit qui dure depuis cinq mois, Emmanuel Macron est resté fidèle au personnage qu’il incarne depuis son élection. Il a pris une option qui correspond à son caractère. Il a été élu très jeune et continue de faire de cette jeunesse un atout. Autrement dit, il n’est pas là pour calmer le jeu mais pour incarner le mouvement.
Il continue de penser que son élection figure une période extrêmement « disruptive », dans la mesure où la plupart des politiques publiques sont contestées en raison de leur manque d’efficacité, et que tous les corps intermédiaires font l’objet d’une très forte contestation. Donc il pousse son projet initial, qui était de refonder un certain nombre d’actions publiques : priorité à l’éducation, au travail, refonte de l’assurance-chômage et du système de retraite.
En essayant de convaincre l’opinion que si ça n’avait pas marché la première fois, c’est parce qu’il n’avait pas suffisamment associé les corps intermédiaires ou les citoyens. C’est pourquoi cette fois-ci il propose par exemple des jurys citoyens, une « nouvelle étape de décentralisation », ou encore ce qu’il appelle « l’agenda 2025 » qui va permettre de mettre en débat un certain nombre de sujets-clés : l’agriculture, le grand âge…
gb : Ne pensez-vous pas que Macron a été dans le « temps long » concernant ses réponses aux crises actuelles (ce qui en soit n’est pas illogique), mais que beaucoup de citoyens vont être extrêmement déçus par ses réponses ?
Il ne faut pas oublier que 10 milliards d’euros ont déjà été mis sur la table en décembre. Sauf à faire exploser le déficit budgétaire et la dette, les marges de manœuvre étaient étroites. La principale réponse du président de la République porte sur l’amélioration des services publics – ce qu’il appelle la « proximité » –, il veut rendre l’Etat plus efficace sur le terrain, et mettre les collectivités locales face à leurs responsabilités. La difficulté, c’est que beaucoup de gouvernements avant lui ont rêvé de faire la même chose et que beaucoup de chantiers se sont enlisés. Donc il faudra une volonté de fer pour convaincre les citoyens que la puissance publique est vraiment à leur service.
Stéphane : Donc aucune nouvelle mesure pour répondre à la crise de la démocratie représentative ? Quid de l’assemblée citoyenne ?
Pour repartir de l’avant, Emmanuel Macron a besoin des élus. Il les a donc ménagés, promettant toutefois d’essayer d’améliorer la représentativité, notamment à l’Assemblée nationale. Il a répété son engagement en faveur d’une dose de proportionnelle, qui pourrait atteindre 20 %.
Parallèlement, il s’est déclaré favorable à des référendums d’initiative partagée au niveau local, et a annoncé une réforme du Conseil économique, social et environnemental, dont une partie des membres sera désormais tirée au sort. Enfin, il ne s’est pas interdit d’avoir recours au référendum si un sujet se présentait d’ici à la fin de son mandat. On peut dire qu’il a quand même apporté certaines réponses, même s’il reste très soucieux de ne pas déséquilibrer la démocratie représentative, qui souffre dans la période actuelle d’un discrédit assez important.
ca : Macron a reconnu des erreurs, est-ce nouveau ?
Non, ce n’est pas nouveau, il avait commencé à corriger le tir avant le mouvement des « gilets jaunes » en reconnaissant qu’il avait pu être maladroit dans certaines de ses formulations. Le grand débat national lui a permis d’aller plus avant dans l’autocritique. En prenant acte du fait que beaucoup se sentaient abandonnés, ressentaient un profond sentiment d’injustice fiscale, il a reconnu que sa politique avait pu paraître trop brutale et pas assez humaine.
A plusieurs reprises, il a insisté sur sa volonté de mettre « l’homme au cœur » de son projet, mais ce qui était aussi intéressant dans son intervention, c’est qu’il ne concède rien sur sa notion de responsabilité. Il considère que le citoyen a des droits mais aussi des devoirs. Son projet reste très marqué par la notion de personnalisme social, c’est-à-dire que l’individu a une responsabilité dans la société. Il avait beaucoup développé cette vision pendant la campagne présidentielle et la reprend à son compte en expliquant qu’une part du sentiment d’abandon éprouvé par certains était liée au fait qu’on éprouvait de plus en plus de difficultés à s’insérer dans un projet collectif.
SJ : N’est-ce pas trop facile de faire des (hauts) fonctionnaires des boucs émissaires d’un immobilisme de l’Etat ?
Ce n’est pas la première fois que l’Ecole nationale d’administration (ENA) est prise pour cible. Des hommes aussi différents que Jean-Pierre Chevènement ou Bruno Le Maire avaient préconisé la même chose. Dans le pays, le ressentiment s’accroît à l’égard de la haute fonction publique, qui donne l’impression de préserver ses privilèges plutôt que l’intérêt général. Les résultats du grand débat ont montré qu’il y avait un fort ressentiment à l’égard des élus mais aussi des représentants de l’Etat, perçus comme une caste. L’ENA a été plusieurs fois citée, en partie parce que les hauts fonctionnaires qui en sortent ont non seulement l’emploi à vie mais peuvent aussi prétendre à de très belles carrières, pourvu qu’ils sortent en haut du classement. A un moment où l’ensemble de la société s’est précarisé, ce système des « grands corps » peut paraître anachronique. Donc Emmanuel Macron cherche le moyen de mettre davantage de fluidité dans le recrutement, et veut aussi éviter qu’à 26 ans un haut fonctionnaire sorti de l’école puisse considérer que sa carrière est déjà toute tracée.
Laurianne : L’insistance qu’a eu le président à responsabiliser le gouvernement, à rappeler son rôle (notamment à l’occasion d’une question de l’un des journalistes) est-elle une nécessité à ce stade de son mandat, et face aux critiques qui l’accusent de s’approprier trop de pouvoir ?
Vous avez raison. Après la forte contestation dont il a été l’objet, le président a besoin de montrer qu’il n’est pas tout seul, que son rôle est de fixer le cap et de demander des comptes à ceux auxquels il aura délégué la tâche de faire concrètement. En l’occurrence, le gouvernement, les élus locaux et les citoyens. On en revient à la lecture originelle des institutions de la Ve République, mais il aura fallu une belle crise sociale pour qu’Emmanuel Macron le comprenne.
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