La chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne refuse de détruire la retenue d’eau de Caussade, comme le demande l’Etat
La chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne refuse de détruire la retenue d’eau de Caussade, comme le demande l’Etat
Par Philippe Gagnebet (Agen, envoyé spécial)
Les travaux ont été jugés illégaux par le tribunal administratif de Bordeaux, et l’Etat a ordonné de détruire l’ouvrage sous trois mois.
« Humiliant, méprisant, pris dans l’aveuglement. » Serge Bousquet-Cassagne, tout puissant et récemment réélu président (coordination rurale) de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, ne décolère pas, et remonte au créneau en tenant tête à l’Etat et aux décisions de justice.
Il y a un mois, le tribunal administratif de Bordeaux confirmait l’illégalité du barrage de Caussade, un lac artificiel de 920 000 mètres cubes édifié pour un usage par une trentaine d’agriculteurs irrigants. Une décision désormais confirmée par l’Etat, qui a pris, le 2 mai, un arrêté décisif : la chambre d’agriculture a trois mois pour détruire la retenue d’eau construite sans autorisation.
Cet arrêté ordonne la remise en état des terrains d’ici un an et demi, la cessation des travaux (à défaut, une astreinte de 500 euros par jour sera appliquée), des mesures conservatoires, telle que la prise de mesures nécessaires pour cesser la mise en eaux. « La chambre d’agriculture dispose d’un délai de vingt jours pour déposer un dossier présentant l’ensemble des mesures prévues pour la remise en état, à défaut, une astreinte de 500 euros par jour sera appliquée et dispose de dix-huit mois pour réaliser les travaux », précisait la semaine dernière la préfète, Béatrice Lagarde.
« Il va y avoir du sang et des larmes »
Par ailleurs, la somme de 1 million d’euros sera saisie d’ici le 12 mai sur les comptes bancaires de la chambre si elle ne se soumet pas à l’arrêté, une mesure dite de « consignation » inédite pour un tel organisme. Lors d’un déjeuner organisé dans ses locaux, alors que la presse était souvent jugée auparavant « malvenue », M. Bousquet-Cassagne en a carrément appelé au « peuple, aux élus, à la révolte… ». « Personne ne va démolir ce qui a été fait dans les règles, ce projet est soutenu par tout le monde agricole départemental », a asséné le président. Très remonté, il a même prévenu : « Il va y avoir du sang et des larmes, s’il le faut, nous camperons jour et nuit devant la retenue pour empêcher quiconque d’y pénétrer. »
Pour mémoire, ce projet remonte aux années 1980, mais démarre vraiment en 2017, quand un syndicat d’agriculteurs irrigants, le SDCI, dépose une demande d’autorisation de travaux et estime le coût global à un peu plus de 3 millions d’euros. Le 29 juin 2018, la préfecture publie l’arrêté d’autorisation à la suite d’une enquête publique positive. Mais elle oublie les réserves émises par l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN).
Les associations FNE et la Sepanso, une association écologiste régionale, contestent alors l’arrêté préfectoral et, début octobre 2018, dans un courrier signé des ministres de l’agriculture, Stéphane Travert, et de la transition écologique, François de Rugy, estiment que le projet n’est « pas compatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la directive-cadre européenne n’est pas établie ».
La menace de licenciements
Après le retrait de l’autorisation, un premier jugement négatif au tribunal administratif et une plainte de la préfecture de région, la chambre d’agriculture entame malgré tout les travaux, pour environ 1 million d’euros et grâce au « bénévolat des agriculteurs ». Ceux-ci sont quasiment terminés aujourd’hui et la mise en eau a débuté. « Afin de retrouver sa crédibilité en matière de gestion partagée de l’eau, l’Etat devait impérativement organiser la remise en état du site mais aussi obliger à la compensation des dommages d’ores et déjà réalisés sur la nature », a réagi Michel Dubromel, président de France nature environnement.
Pour Patrick Franken, vice-président de la chambre d’agriculture et principal artisan de la construction du barrage, « les écolos sont tous de Paris, ne connaissent rien aux problématiques du terrain, comme l’Etat d’ailleurs ». Dans cette bataille qui dure donc depuis plusieurs mois, M. Bousquet-Cassagne a même annoncé que si 1 million d’euros était saisi, « nous serons obligés de licencier quinze salariés sur les soixante-douze que compte la chambre. Sur un budget de 6,5 millions, comment voulez-vous que l’on fasse autrement ? ».
En attendant, sur le barrage, deux ou trois engins de chantier tassent l’argile, ont ouvert une brèche pour évacuer un éventuel surplus d’eau et déplacent tulipes ou espèces menacées. Aux alentours, les cultures de maïs, betterave ou noisette devront attendre encore un an pour recevoir l’eau du barrage…, s’il est encore en état. Le dossier est sur les bureaux de François de Rugy et du ministre de l’agriculture. « On attend une réponse, on ouvre la porte à une ultime concertation et compromis », conclut Serge Bousquet-Cassagne.