Une électrice se rend à son bureau de vote à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 8 mai 2019. / MICHELE SPATARI / AFP

Adrien Barbier, un de nos correspondants à Johannesburg, a répondu sur WhatsApp à vos questions sur les élections générales en Afrique du Sud et sur le contexte politique et économique du pays. Voici quelques-unes de vos questions.

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L’Afrique du Sud est-elle au bord de l’implosion sociale ?

Adrien Barbier Il est toujours difficile de prévoir l’implosion sociale d’un pays… Mais à bien des égards, la société sud-africaine est déjà en ébullition. Tous les jours où presque, il y a une manifestation dans un township, un village, une ville, où la population proteste contre le manque de services publics. En général, ils bloquent les rues et brûlent des pneus. Ils peuvent parfois s’en prendre aux commerces tenus par les étrangers. C’est aussi un moyen pour les plus pauvres d’exprimer leur mécontentement et leurs besoins en direction du gouvernement. Et c’est loin d’être nouveau : c’était déjà un moyen d’action sous l’apartheid.

Quel est le régime politique sud-africain ?

C’est un régime parlementaire : le président est élu par le Parlement, qui peut également le démettre. Les députés sont élus sur un scrutin de liste au niveau national, et non par circonscription comme en France. Le pays est découpé en neuf provinces et chaque province dispose d’un parlement et d’un premier ministre. Mercredi 8 mai, les Sud-Africains ont donc voté pour leurs députés nationaux et provinciaux pour les cinq prochaines années. Ce scrutin n’a qu’un seul tour. Le Parlement vote ensuite pour élire le président, qui désigne son gouvernement. Il faut la majorité (201 députés sur 400) pour être élu. Au niveau des provinces, chaque parlement vote pour un premier ministre, qui nomme son gouvernement.

Pourquoi le désamour pour le Congrès national africain (ANC, au pouvoir) ne se transforme-t-il pas en vote pour l’Alliance démocratique (DA) ou le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) ?

Bonne question ! L’ANC reste très fort au sein de la majorité noire, car il conserve son aura de parti de libération. Le régime de l’apartheid ne s’est terminé qu’en 1994, et beaucoup des plus de 50 ans gardent un souvenir vivide de ces années terribles, notamment vers la fin, quand le régime s’est durci. L’âge de l’électorat favorise l’ANC, car seuls quatre jeunes sur dix se sont inscrits sur les listes électorales. Il semblerait aussi que le président Cyril Ramaphosa ait sauvé la mise du parti : conciliant et rassembleur, il séduit bien au-delà de l’ANC et beaucoup sont convaincus qu’il est l’homme qui pourra relancer l’économie.

En face, l’opposition reste structurellement éloignée de l’ANC. La DA, qui est à l’origine le parti des démocrates et libéraux blancs opposés à l’apartheid, a misé sur son ouverture aux autres catégories de la population et se pose désormais comme le seul parti non racial en Afrique du Sud. Mais beaucoup encore ne croient pas à sa métamorphose et restent persuadés que les Blancs tiennent les ficelles en coulisses. Le leader de la DA, Mmusi Maimane, qui a pourtant tout pour plaire, n’accroche pas dans l’opinion. Pour certains, il manque d’authenticité et de leadership. Des luttes internes et des accusations de racisme qui se sont étalées dans les médias ont également beaucoup plombé l’image du parti.

Les EFF, qui devraient être la seule formation à améliorer son score, restent un jeune parti, fondé il y a six ans. S’il talonne la DA, ce sera déjà bien.

Entre les Blancs et les Noirs, qui est majoritaire ?

D’après le dernier recensement, qui remonte à 2011, les Blancs étaient 9 %, les Noirs 76 %, sans oublier les « Coloured » (métis), à 9 %, et les Indiens, à 3 %.

Qu’est-ce qui explique les écarts de revenus entre foyers blancs et noirs ?

En un mot, l’apartheid ! En plus de priver la majorité noire de droits politiques, le régime était organisé de manière à fournir aux entreprises blanches une main-d’œuvre noire très bon marché. La fin de l’apartheid et de cette exploitation a causé presque immédiatement un fort taux de chômage (20% en 1994). Nelson Mandela est d’ailleurs très critiqué aujourd’hui, puisque les Sud-Africains estiment que la démocratisation ne s’est pas accompagnée d’une libération économique : en bref, que la minorité blanche a pu conserver son emprise sur l’économie en échange d’un changement de régime pacifique.

Ces dernières années, l’Afrique du Sud est plongée dans une crise économique sans fin qui s’explique par la crise globale financière de 2008, la chute du cours des matières premières, la fermeture de nombreuses mines qui ont fait la richesse du pays, et surtout les choix politiques hasardeux de la présidence Zuma (2009-2018), qui ont provoqué la défiance des investisseurs étrangers. Enfin, comme le reste du monde, l’Afrique du Sud est touchée par les effets de la mondialisation et par l’accentuation des inégalités.

Cela veut-il dire que l’apartheid n’est pas totalement fini ?

Politiquement, si. Jusqu’en 1994, la majorité noire n’avait pas les mêmes droits politiques que les autres catégories raciales, en particulier le droit de vote. Economiquement, c’est beaucoup plus compliqué. Le système d’éducation est loin d’être au niveau, ce qui fait qu’une majorité de Sud-Africains restent exclus économiquement. Les nantis, souvent blancs, se sont enrichis, tandis que la pauvreté s’est accentuée. L’ANC est très critiqué à cause de la corruption et du fait que seule une poignée de Noirs liés au parti se soient copieusement enrichis. Le grand espoir des années Mandela a laissé place à une grande déception. Mais certains disent qu’on ne corrige pas trois siècles d’inégalités en vingt-cinq ans.

Qu’est-ce qui a mené à la criminalité incontrôlable dans le township d’Alexandra, à Johannesburg ?

La criminalité est un sujet complexe, mais si j’ose m’aventurer sur ce terrain glissant, le chômage et l’exclusion économique, dans un contexte de grandes disparités, poussent beaucoup de jeunes vers le banditisme. Dans un pays où le salaire minimum est de 220 euros, et ce depuis le 1er janvier seulement, il peut être plus rémunérateur de voler que de travailler. L’éducation est aussi un problème, puisque beaucoup de gens n’ont pas de qualification. L’usage répandu de drogues, surtout du nyaope, un mélange de cannabis et d’héroïne pas cher et très addictif, aggrave tout cela. Enfin, les services de police sont en sous-effectif chronique. Au temps de l’apartheid, les moyens policiers étaient concentrés pour protéger les banlieues blanches, donc maintenant que les moyens sont plus égalisés, tout le monde est moins protégé.

L’expropriation des grands propriétaires terriens est-elle toujours d’actualité ?

L’expropriation sans compensation des terres reste un thème primordial, mais il ne faut pas croire ceux qui prédisent que « l’Afrique du Sud va finir comme le Zimbabwe ». L’an dernier, le président Ramaphosa a promis de modifier la Constitution pour permettre l’expropriation des terres sans compensation, mais il a également assuré qu’il ferait en sorte de ne pas perturber l’économie – ce qui revient à ne pas expulser des fermiers blancs en activité –, et il a multiplié les signes pendant la campagne pour rassurer la communauté blanche.