Festival de Cannes 2019 : Jessica Hausner, impitoyable pour les illusions romantiques
Festival de Cannes 2019 : Jessica Hausner, impitoyable pour les illusions romantiques
Par Thomas Sotinel
La réalisatrice autrichienne, qui a été script girl d’Haneke, a déjà présenté trois longs-métrages et un court sur la Croisette, mais c’est la première fois qu’elle prétend à la Palme d’or, avec « Little Joe ».
Jessica Hausner, en mai 2015, à Paris. / ROBERT JEAN-FRANÇOIS / MODDS
Une fois seulement, Jessica Hausner a présenté un film dans un autre festival que Cannes. C’était en 2009, à Venise : Lourdes, tourné dans la ville mariale pyrénéenne, avec Sylvie Testud et Léa Seydoux, y avait remporté le prix Fipresci, décerné par la critique internationale. Mise à part cette excursion sur la lagune, Cannes est l’autre patrie de la cinéaste viennoise.
Grand moment de claustrophobie
En 1999, elle était de la deuxième promotion de la Cinéfondation et présentait son court-métrage Inter-View. Avant de montrer Little Joe en compétition cette année, ses trois autres longs, Lovely Rita (2001), Hotel (2004) et Amour fou (2014), ont été retenus dans la section Un certain regard. En 2011, elle fut membre du jury des courts-métrages et de la Cinéfondation.
Mais, quel que soit son attachement à la Côte d’Azur, Jessica Hausner reste avant tout viennoise, autrichienne. Issue d’une famille d’artistes, elle a grandi sous la présidence de Kurt Waldheim (elle est née en 1972) et a vu éclore – alors qu’elle étudiait les arts plastiques, puis le cinéma – la réputation internationale de Michael Haneke. Elle a été la script girl du grand homme sur le tournage de son film le plus controversé, Funny Games, en 1997.
Quand il a découvert le premier long-métrage de Jessica Hausner, le public cannois d’Un certain regard n’a donc pas été vraiment surpris de ne pas y retrouver la fantaisie et les fantasmes de la chanson des Beatles à laquelle il empruntait son titre. Portrait d’une adolescente qui n’a rien d’aimable, Lovely Rita est surtout un grand moment de claustrophobie, qui se distingue des dissections de la société autrichienne que pratiquent, chacun à sa manière, Haneke ou Ulrich Seidl par une douce froideur propre à la réalisatrice.
Epoque napoléonienne
On retrouve cette distance qui force le spectateur à s’impliquer dans le film s’il veut le déchiffrer dans Hotel, un thriller, et dans Lourdes, qui chronique une guérison sans prendre parti sur sa nature. Avec Amour fou, Jessica Hausner s’est éloignée du présent, mettant en scène les derniers jours du poète allemand Heinrich von Kleist, bien décidé à se suicider et à entraîner son aimée, une mère de famille berlinoise, dans la mort. Cette fois la méthode Hausner porte tous ses fruits : impitoyable pour les illusions romantiques, elle dirige ses comédiens avec assez de souplesse pour autoriser l’empathie. Enfin, elle tire un parti inattendu du décorum et des costumes du Berlin de l’époque napoléonienne. Le film fait une belle carrière en festival, sortant en salle dans le monde entier.
Tourné en anglais, avec les acteurs Ben Whishaw (I’m Not There, de Todd Haynes, Bright Star, de Jane Campion, et aussi le dernier « Q » en poste auprès de James Bond), Emily Beecham, vue dans Ave, César !, des frères Coen, et Kerry Fox (Un ange à ma table, de Jane Campion, encore), Little Joe emmène Jessica Hausner vers un autre domaine inexploré, celui de la science-fiction. Il y sera question de plantes génétiquement modifiées, de leurs effets bénéfiques comme de leurs effets secondaires.