« Game of Thrones » : pourquoi la saison 8 fait presque l’unanimité contre elle
« Game of Thrones » : pourquoi la saison 8 fait presque l’unanimité contre elle
Par William Audureau
Plus d’un million d’internautes ont signé une pétition demandant à HBO de réécrire la saison 8. Lâchés par l’écrivain George R. R. Martin, les producteurs sont au centre des critiques.
(Attention, cet article révèle des éléments de l’intrigue de la dernière saison de la série.)
Des fans de « Game of Thrones » parviennent à cacher leur enthousiasme durant la diffusion de l’ultime épisode, le 19 mai, à New York. / CAITLIN OCHS / REUTERS
Ils sont plus d’un million à l’avoir signée, et le chiffre ne fait que monter. Depuis son lancement il y a une semaine, une pétition sur Change.org demandant à la chaîne HBO un changement de réalisateurs et un remake de la saison 8 de Game of Thrones ne cesse de se trouver de nouveaux alliés. Et ce n’est pas l’ultime épisode, diffusé dans la nuit de dimanche 19 à lundi 20 mai qui risque d’inverser la tendance.
Depuis que la saison 8 de Game of Thrones a débuté mi-avril, les critiques n’ont fait que s’accumuler : simplification outrancière de personnages, incohérences scénaristiques et narration précipitée font partie des reproches le plus souvent formulés… En dépit d’une photographie de haute volée et de quelques moments de bravoure d’une incroyable intensité, comme l’épisode de « La longue nuit », la saison finale de la saga la plus suivie des années 2010 a souvent laissé un sentiment amer.
J’espère vraiment que Drogon est parti vers Hollywood cramer les deux scénaristes de la saison 8...… https://t.co/kcUaGwwJiU
— LaurentFont (@Laurent Font)
Le désaveu des acteurs
Comme l’écrit avec virulence le site Vice, « Game of Thrones a ruiné tous ses personnages ». En cause, le basculement jugé abrupt de Daenerys vers la folie sanguinaire ; le caractère pusillanime de Jon Snow ; ou encore les décisions aberrantes de Tyrion Lannister, pourtant censé être l’un des plus brillants esprits de Westeros. Interrogée par le site Polygon, la chercheuse en littérature fantastique Ebony Elizabeth Thomas regrette quant à elle le parcours de Daenerys, tombant dans le cliché de la reine tyrannique.
Photo rare d’Emilia Clarke découvrant le script de la saison 8 de « Game of Thrones ». / AP
De son côté, le Washington Post énumère les absurdités de cette saison, comme le fait qu’Arya continue d’être considérée comme un personnage invisible par Westeros, alors qu’elle vient de sauver l’humanité. Le site américain Forbes n’a pas manqué de souligner les problèmes d’échelle de puissance, culminant dans la mort surprise d’un dragon, touché par une seule lance.
De leur côté, les acteurs du show ont également donné l’impression de critiquer l’évolution récente de Game of Thrones, à mots plus ou moins couverts – même s’ils ont aussi expliqué avoir parfois davantage réagi en pensant au destin de leur personnage qu’à l’issue de la série dans son ensemble. A l’image de la moue gênée d’Emilia Clark (Daenerys) quand on lui demande ce qu’elle pense de la saison, avant de compenser par un enthousiasme surjoué ; du bilan de Conleth Hill (Varys), confiant que « les deux dernières saisons ne sont pas [ses] préférées » ; de la prudence de Sophie Turner (Sansa) prévenant que « certaines personnes seront satisfaites, et d’autres, pas vraiment », ou encore de la repartie désarmante de Kit Harington, qualifiant la saison de « décevante », avant de rajouter « épique ».
3 Minutes of the Game of Thrones Cast Being Disappointed by Season 8
Durée : 02:57
D’un style d’écriture à un autre
Sur Twitter, Daniel Silvermint, un professeur de philosophie, explique le sentiment de trahison ressenti par les spectateurs en opposant deux grandes approches de l’écriture. La première consiste à mettre en place des personnages complexes et à laisser l’histoire se développer au fur et à mesure, en laissant ces protagonistes de fiction vivre par eux-mêmes ; et la seconde à définir les grandes lignes de l’histoire en amont, sa fin comprise, puis à remplir les arcs intermédiaires en faisant agir les personnages en fonction du dénouement attendu.
Dans ce schéma, l’auteur des romans, George R. R. Martin, appartient à la première catégorie, et les producteurs de la série, David Benioff et Daniel Brett Weiss, à la seconde. La richesse de l’univers, l’épaisseur des personnages, la finesse et la complexité des relations sociales, tout ce qui a fait de Game of Thrones un objet télévisuel d’une inhabituelle sophistication découle de l’approche de George R. R. Martin –, même si l’ensemble donnait parfois l’impression de ne pas avoir de direction claire.
A l’inverse, à mesure qu’ils prenaient la main sur l’évolution de l’histoire, David Benioff et Daniel Brett Weiss ont pu instituer un cadre narratif plus directif ainsi que des trajectoires personnelles plus marquées, comme autant de flèches pointant vers la résolution de l’intrigue principale de la saga. Ainsi de la victoire d’Arya sur le Roi de la nuit, prévue dans leur tête depuis trois saisons. Mais pour les besoins de l’histoire, ils ont aussi évacué la complexité et la cohérence initiales du monde de Westeros, à la grande frustration des fans.
Un récit de plus en plus psychologisant
Dans son blog sur Scientist American, la sociologue des technologies et écrivaine turque Zeynep Tufekci pointe un autre problème de fond. Comme The Wire, Game of Thrones était initialement une série suivant un récit de type sociologique : plus que ses personnages, ce sont les rapports de force, les pressions de leur entourage, les enjeux politiques et les dynamiques de groupes qui faisaient avancer l’histoire. C’est la raison pour laquelle la superproduction de HBO pouvait sacrifier cruellement plusieurs de ses héros, à la grande stupeur des téléspectateurs, sans que les enjeux n’en pâtissent.
A l’inverse, observe-t-elle, avec cette huitième et dernière saison, la logique du récit est devenue strictement psychologique. Il n’existe plus d’autre explication à la conduite des personnages qu’eux-mêmes. Et soudain, voilà que la fresque politique sur fond de dragons revient à des oppositions plus stéréotypées entre héros et antihéros, ou bien du « fan service » assumé, comme le combat souhaité par les internautes entre les frères Clegane.
Deux photos de Kit Harington, jouant Jon Snow. / AP
L’abrupt virage de Daenerys dans la folie meurtrière en est l’illustration la plus flagrante : alors que son adversaire s’est rendu, que la victoire est politiquement acquise, elle cède à une colère inexpliquée, sinon par une forme de déterminisme génétique – elle est la fille du roi fou. Un changement de style que déplore Zeynep Tufekci, qui estime que les producteurs de la série ont « mangé de la glace avec une fourchette », ou pour le dire autrement, compris leur mission de travers.
En dépit de toutes ces critiques, il y a peu de chances que HBO fasse marche arrière et donne raison aux nombreux détracteurs de cette huitième saison. D’abord parce que tout nombreux qu’ils soient, ils ne pèsent pas bien lourd face au colossal succès d’audience : 43 millions de téléspectateurs en moyenne, rediffusions et visionnage à la demande compris, rien qu’aux Etats-Unis, selon la chaîne du câble. Et une série préquelle est actuellement en production, tandis que David Benioff et Daniel Brett Weiss vont désormais prendre en charge une autre franchise sacro-sainte : Star Wars.