Les murs d’Alger aussi racontent la colère de la ville
Les murs d’Alger aussi racontent la colère de la ville
Aux slogans habituels depuis le 22 février s’est ajouté le souvenir du militant des droits humains Kamel Eddine Fekhar décédé mardi
A Alger, même la pierre parle désormais. Pour la quinzième semaine de contestation et de manifestations pour réclamer le départ du régime et une transition politique, la colère algéroise se lit aussi sur les murs. Dans la Casbah, plongée dans le silence du matin, des « Voleurs », « Libres ! », « Pouvoir assassin ! » ponctuent la rue Hocine-Bourahla, une venelle qui plonge en direction du mausolée Sidi Abderahmane – le saint de la ville. Là, une bâtisse effondrée donne leur sens aux tags peints sur ces façades des XVIeet XVIIe siècles. Deux cents mètres plus bas, l’effondrement d’un immeuble de quatre étages a emporté les vies de cinq personnes, dont deux enfants, le 22 avril. Et ce vendredi 31 mai, cette colère contre l’incurie des autorités du pays résonne avec une autre mort.
Car ce quinzième vendredi de mobilisation est aussi un jour de deuil. A la contestation générale, s’ajoutent des slogans pour la défense des libertés publiques après la mort en détention, mardi, du militant des droits humains Kamel Eddine Fekhar. Une minute de silence est observée à au moins deux reprises par le cortège de la capitale et des manifestants portent des calottes mozabites, en solidarité avec la communauté et minorité religieuse dont était issu le militant. Et discrètement, sa communauté a aussi constitué un petit cortège autonome en début d’après-midi.
A Bab el-Oued, quelques heures auparavant, seul le carrefour commerçant des Trois-Horloges, cœur battant de ce quartier populaire de 70 000 habitants, présente un semblant de vie. Les immeubles, aux balcons desquels pendent des mètres carrés de linges, cachant des murs qui n’ont pas dû être ravalés depuis plusieurs générations, attendent midi trente pour s’animer.
Drapeaux algériens déployés
A un quart d’heure du premier appel à la prière, des dizaines de personnes émergent tout à coup des porches pour rejoindre la procession de fidèles en route vers la mosquée Es-Sunna, une ancienne place forte du Front islamique du salut dans les années 90. Là, dans les groupes, les drapeaux algériens ont bien du mal à rester discrets, enroulés dans leurs tapis de prière. Salim, la quarantaine, s’est même fabriqué une pancarte escamotable, repliée dans son tapis : « Il n’y aura pas de retour en arrière sans la satisfaction des demandes de liberté du citoyen. » Présent à toutes les manifestations depuis le début, il se promet de défiler aujourd’hui et jusqu’à « ce qu’ils dégagent tous ! ».
Es-Sunna se révèle vite exiguë pour accueillir la foule qui s’y presse à quelques jours de la fin du ramadan. Des dizaines de personnes s’installent dans la rue et sur les marches d’un escalier qui y mènent. Parmi elles, certains se mettent à l’écart, ou s’adossent à des voitures : tout le monde n’est visiblement pas venu ici pour accomplir son devoir religieux. « Tu sais d’où ça part [la manifestation] ? », interroge un jeune homme. « Non. On attend alors, on va voir. » La mosquée est devenue un vrai lieu de ralliement.
Alors, dès la fin de la prière, drapeaux algériens déployés, des centaines de personnes redescendent vers la place des Trois-Horloges. L’imam d’Es-Suna ayant pris son temps pour son prêche, des fidèles des mosquées voisines sont venus alimenter le flot qui chemine vers le lieu de rassemblement. Autour des trois cadrans qui donnent leur nom au lieu, la foule, exclusivement masculine, tranche avec la mixité des manifestants du centre-ville.
« Pouvoir assassin »
Et dès qu’un immense drapeau algérien est déployé, l’ordre de départ résonne aux cris de « Hé, Ho, hé, ho, chaque vendredi on ressort ! ». Désertes une heure auparavant, les rues du quartier déversent des centaines de manifestants alors que des volontaires, barbus et en kamis, encadrent la circulation. Sans que leur présence ne se ressente aujourd’hui dans les chants scandés par les manifestants.
Un timide « Au nom d’Allah, vous dégagerez tous », lancé par quelques-uns au début de la marche, est vite noyé par « Un Etat civil, pas militaire », parfois scandé par les mêmes, d’ailleurs – Le tout entrecoupé de « pas d’élections, bande de mafieux » et de l’inusable « Bab El Oued, les martyrs » en hommage aux victimes des émeutes d’octobre 1988.
Quittant le front de mer, un moment bloqué par plusieurs lignes de boucliers policiers, le cortège des Trois-Horloges entre rapidement sur l’esplanade de la Grande-Poste comme poussés par un tonitruant « les enfants de Bab El Oued et de la Casbah sont là ». Le défilé laisse peu à peu place aux femmes et les « pouvoir assassin » rageurs tentent de couvrir le bourdonnement de l’hélicoptère de la police qui tourne dans le ciel.
En fin d’après-midi, alors que chacun rentre, des secouristes se reposent à l’entrée de leur QG, un local du Croissant-Rouge situé en contrebas de l’université. Pendant plus de cinq heures, par équipes de deux, ils se sont employés à arroser les manifestants d’eau fraîche pour prévenir coups de chauds et malaises alors que le ramadan est entré dans sa dernière semaine et que le soleil se fait chaque jour plus présent.
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