« Get Out » : Frankenstein à l’épreuve du racisme contemporain
« Get Out » : Frankenstein à l’épreuve du racisme contemporain
Par Jean-François Rauger
Le premier film du réalisateur Jordan Peele détourne les codes du gothique et de la science-fiction pour mieux appuyer sa dénonciation.
Il y eut, en 1967, un film de Stanley Kramer, spécialiste de la fiction hollywoodienne à thèse, qui imaginait la surprise d’un couple de bourgeois blancs (Katharine Hepburn et Spencer Tracy) découvrant que le fiancé de leur fille était noir. Au plus fort de la lutte pour les droits civiques, Devine qui vient dîner ? était une comédie un peu lourde qui professait un antiracisme alors jugé encore un peu trop aseptisé et sage, d’autant plus acceptable que le fiancé avait tout du gendre idéal (Sidney Poitier).
Près de cinquante ans plus tard, la question, et la nature peut-être, du racisme s’est sans doute déplacée, et c’est une des qualités du film de Jordan Peele d’utiliser les conventions du cinéma de terreur pour en livrer une métaphore politique sinon subtile du moins relativement sagace.
Une jeune femme décide d’emmener son petit ami afro-américain dans la somptueuse maison de ses parents afin d’y passer quelques jours. En découvrant les géniteurs de sa fiancée, le héros de Get Out se trouve face à un couple de grands bourgeois blancs progressistes, éclairés, avouant avoir soutenu et voté Obama et accueillant le boyfriend de leur fille avec une bienveillance apparemment indifférente à sa couleur de peau.
Une angoisse sourde
Les barrières de classes et de races sont certes encore perceptibles lorsque le héros remarque que les domestiques de la maison sont tous noirs et que leurs regards portés sur lui engendrent une vague culpabilité. Insidieusement, pourtant, s’installe une angoisse sourde, un malaise sans véritable cause ni objet visible. La tolérance affirmée apparaît en effet comme une autre manière de considérer, avec une distance suspecte, la « différence » de l’hôte. Rien de plus raciste que l’antiracisme lorsqu’il s’évertue à gommer l’altérité de l’autre. Tel est l’étrange et évidente proposition énoncée par le film de Jordan Peele.
L’originalité de Get Out apparaît néanmoins de façon encore plus flagrante lorsque les conventions des récits fantastiques surgissent. Sans dévoiler au spectateur les surprises que le récit lui réserve, surprises venues tout autant de l’horreur gothique que de la science-fiction, on peut dire que le retour des motifs classiques que sont à la fois le vampirisme et le défi frankensteinien dévoilent un lourd secret.
Get Out / Bande-annonce officielle VOST [Au cinéma le 3 mai]
Durée : 01:31
Film américain de Jordan Peele. Avec Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener, Bradley Whitford (1 h 44).