Les réseaux sociaux ont changé la vie des expatriés
Les réseaux sociaux ont changé la vie des expatriés
Par Angélique Mangon
A l’occasion du Forum Expat, les 12 et 13 juin à Paris, « Le Monde » s’est penché sur la vie et les aspirations des Français de l’étranger. Si les nouveaux modes de communication facilitent leur intégration, ils peuvent aussi freiner l’expérience d’immersion dans une autre culture.
Les réseaux sociaux ne remplacent pas les rencontres physiques, par exemple dans ce café français de Sydney. / Michael Amendolia/Panos-REA
Aujourd’hui, d’un simple clic, les expatriés peuvent trouver tous les bons plans dont ils ont besoin sur les réseaux sociaux. Agathe, 30 ans, qui vit à l’étranger depuis l’âge de 7 ans, se souvient que cela n’a pas toujours été le cas. « Quand j’étais au collège à Djibouti, en 2000, il n’y avait même pas de téléphone », raconte-t-elle. L’unique opérateur local, Djibouti Télécom, venait de s’implanter, en 1999. « Je me souviens que mes parents allaient aux soirées organisées par l’ambassade pour rencontrer d’autres expatriés et échanger des conseils pour trouver un médecin ou un coiffeur », ajoute la jeune Franco-Canadienne, expatriée au Mali depuis trois ans, qui a souhaité garder l’anonymat.
Sur le seul réseau Facebook, 92 millions d’expatriés sont organisés par pays ou par communauté. Les Français y ont leur groupe dans presque tous les pays du monde, du Pérou à l’Indonésie en passant par la Nouvelle-Zélande. Certains, comme « Français en Nouvelle-Zélande », rassemblent plusieurs dizaines de milliers de membres. « Mon utilisation des groupes sur Facebook a explosé depuis que je vis au Pérou », reconnaît Lauriane Brulebeaux, 37 ans. « Il y a le groupe des expats, celui des mamans, ou encore celui des entrepreneurs… En tout, je suis active dans une bonne dizaine de groupes, sans compter ceux que je regarde seulement de temps en temps », calcule la jeune maman.
Les réseaux sociaux facilitent grandement la solidarité entre les expatriés, témoigne Michaël Briffaud, installé aux Etats-Unis depuis août 2018. Quand il s’est installé à Washington, tout le monde lui a recommandé de s’inscrire sur le Google Group francophone « Mamans autour de DC ». Un forum qui héberge quelque 31 000 sujets de conversation. De quoi trouver son bonheur, confortablement installé dans son canapé. « Quand ma belle-sœur est venue nous rendre visite, nous avions besoin d’une poussette pour mon neveu de 3 ans et nous voulions éviter d’en acheter une. Sur le groupe, nous avons trouvé une Suisse qui nous en a prêté deux gratuitement », explique l’expatrié de 34 ans.
« Ils ne remplacent pas la rencontre humaine »
Les réseaux sociaux complètent les réseaux physiques. « Au Mali, tu ne peux pas sortir dans la rue “pour aller voir ce qui se passe ce soir”. Du coup, les réseaux sociaux nous aident à trouver les soirées qui sont organisées », explique Agathe. Mais « ils ne remplacent pas la rencontre humaine », estime Lauriane Brulebeaux. « Le groupe Facebook des Français au Pérou n’existe pas physiquement, les gens échangent des infos mais ne se rencontrent pas, alors que certaines associations d’expatriés, comme Lima Accueil, organisent des événements. C’est une communauté qui existe vraiment et qui ne peut pas être remplacée par les réseaux sociaux. » Lauriane Brulebeaux garde en tête l’épisode de son accouchement, il y a presque un an. A ce moment-là, bien qu’en contact avec ses proches sur les réseaux sociaux, elle a ressenti un immense besoin de les avoir physiquement près d’elle.
Concernant les contacts facilités avec les proches restés au pays, le rôle des réseaux sociaux est à double tranchant. « Avant, le départ était “sans appel”, avec une coupure nette de communication avec ses proches car le téléphone était très coûteux et les courriers arrivaient après plusieurs jours », rappelle l’anthropologue Audrey Chapot. Seul le retour en France, même ponctuel, rétablissait un contact solide. Selon l’enquête « Liens et relations avec la France des Français résidant à l’étranger », réalisée par Ipsos en 2015, 78 % des Français résidant à l’étranger rentrent en France au moins une fois par an.
Aujourd’hui, entre deux « retours », ils restent connectés au pays d’origine, principalement par WhatsApp ou Messenger. « Mon père et ma belle-mère se sont inscrits sur Messenger quand nous sommes partis aux Etats-Unis. On s’appelle en visioconférence tous les dimanches et pour eux, c’est vraiment important de nous voir. Cela nous permet de maintenir un lien quotidien beaucoup plus facilement que par mail », explique Michaël Briffaud. « Les réseaux sociaux permettent la simultanéité de la communication », note l’anthropologue Audrey Chapot.
Parler sans tabou
Agathe apprécie aussi de pouvoir garder une liberté d’expression sans tabou en communiquant facilement avec ses proches, même si depuis le Mali les échanges vidéo sont impossibles. « La vie d’expatrié n’est pas toujours facile. Du coup, c’est réconfortant de pouvoir échanger avec des gens qui ont la même culture que soi, sans risquer de dire quelque chose qui choque », estime la jeune femme.
En revanche, la permanence des échanges gâche quelque peu la qualité des relations. « Je me suis rendu compte que certaines personnes ne prenaient pas de nouvelles parce qu’elles pensaient connaître ma vie grâce aux photos que je postais sur Facebook », explique Agathe, qui a finalement décidé de fermer son compte. Audrey Chapot confirme que ce phénomène peut aller jusqu’à créer des difficultés au retour de l’expatrié. « Avant que les réseaux sociaux n’existent, le retour signifiait redécouverte mutuelle, de l’autre et du pays d’origine. Maintenant, sous prétexte que le lien est fréquent, que le blog ou Facebook montrent des détails du quotidien, l’épisode de redécouverte semble inutile, alors que dans les faits, il est essentiel », analyse l’anthropologue.
A tant vouloir maintenir un lien avec leur pays d’origine, les Français installés à l’étranger risquent aussi de ne pas profiter pleinement de leur expatriation. « Un lien quasi quotidien avec la France (proches, médias, contact avec d’autres expatriés français) freine l’immersion totale, donc empêche ou ralentit l’intégration dans le pays d’accueil », estime Audrey Chapot.