Crise à Hongkong : « Tout indique que la Chine cherche un plan B »
Crise à Hongkong : « Tout indique que la Chine cherche un plan B »
Florence de Changy, correspondante du « Monde » à Hongkong, a répondu à vos questions sur la révolte actuelle des Hongkongais.
A Hongkong, le 4 juin. / Kin Cheung / AP
Lea : J’ai lu que le système électoral favorisait les partis pro-Pékin. Pouvez-vous expliquer comment ?
Florence de Changy : C’est un raccourci qui couvre des situations différentes selon les élections. En commençant par le « haut », l’élection du n° 1 de HK, le ou la chef de l’exécutif, seuls 1 200 « électeurs » ont droit au vote et ce collège électoral est composé d’acteurs de la vie économique, sociale et politique (plutôt favorables à la Chine continentale) de manière à quasiment garantir qu’au moins une majorité de ces « grands électeurs » voteront pour le candidat préféré de Pékin. Carrie Lam a eu 777 votes (pas 1 200) et son prédécesseur, C.Y. Leung, était souvent surnommé 689, car il avait eu tout juste la majorité. Avant cette étape, il est également difficile, mais c’est arrivé, pour des candidats prodémocratie de se qualifier.
Au Legco (Legislative Council), le Parlement, la moitié des sièges sont attribués à des élus représentant des professions ou des pans spécifiques de la société. Le camp « pro-establishment » y est toujours majoritaire. L’autre moitié des sièges est attribuée par circonscriptions. Les candidats prodémocratie gagnent en général plus de la moitié des sièges. Il y a également 5 « supersièges », pour lesquels tout le monde peut voter. Mais, en plus, depuis les élections législatives de 2016, le gouvernement a imposé de nouvelles règles qui ont empêché certains candidats de l’opposition de se présenter (c’est le cas de tous les membres du parti Demosisto) et a également disqualifié six parlementaires de l’opposition, notamment pour avoir « mal prêté serment »…
Au niveau local, la démocratie est la plus réelle, mais les candidats pro-Pékin disposent souvent de plus gros moyens de persuasion.
Youhou : Ces manifestations ont-elles une dimension historique ? La population hongkongaise s’était beaucoup plus mobilisée lors de la « révolte des parapluies »…
Florence de Changy : Ces manifestations ont, de toute évidence, une dimension historique, ne serait-ce que par leur ampleur. Hongkong ne compte que 7,3 millions d’habitants. C’est, en soi, exceptionnel d’assister à une telle mobilisation, qui plus est sans dérapage violent (je ne parle que des deux marches des dimanches 9 et 16 juin). La « révolte des parapluies » a duré soixante-dix-neuf jours, l’enjeu était très différent.
En 2014, les Hongkongais voulaient « gagner » quelque chose, ils se battaient pour une façon plus démocratique d’élire leur chef de l’exécutif et refusaient la proposition de Pékin. Ils n’ont finalement rien obtenu, et la proposition de Pékin n’est pas passée. Mais ce projet de loi d’extradition, qui est au cœur des manifestations en ce moment, serait du point de vue des Hongkongais un énorme recul et, s’il devait être adopté, constituerait une brèche irréparable au principe qui régit Hongkong jusqu’en 2047 : « un pays, deux systèmes ». C’est pour cela que cela touche très profondément à l’identité hongkongaise.
Manifestations à Hongkong, le 17 juin. / Kin Cheung / AP
Musachi : Peut-on imaginer que Pékin en reste là ? Quid de l’avenir de Hongkong ?
Florence de Changy : Pékin vient de réaffirmer son soutien à Carrie Lam (lundi soir, heure locale). Il est délicat, voire périlleux pour Pékin de la désavouer à la suite des manifestations. Cela créerait un précédent ingérable. En même temps, si le gouvernement n’accède pas à certaines demandes des manifestants dans les jours ou semaines qui viennent, la crise va s’amplifier et devenir de plus en plus compliquée à gérer. Tout indique que le gouvernement central cherche un « plan B », mais le profil d’un chef de l’exécutif qui soit suffisamment loyal à Pékin tout en ayant la confiance des Hongkongais n’est pas facile à trouver !
Irish21 : La Chine peut-elle se permettre de « lâcher » Hongkong au risque d’une contagion à d’autres territoires sur lesquels elle entend garder une mainmise (Taïwan…) ?
Florence de Changy : Je ne suis pas sûre de ce que vous voulez dire par « lâcher ». Mais en aucun cas la Chine ne voudrait lâcher Hongkong, qui est la seule ville véritablement internationale de Chine et qui continue d’avoir un rôle important d’intermédiaire entre la Chine continentale et le reste du monde. Taïwan est, de fait, indépendant depuis 1949 et il avait été sous contrôle japonais pendant cinquante ans de 1895 à 1945, donc même si la Chine de Xi Jinping affiche des velléités de reprise de Taïwan, son indépendance de fait est une réalité depuis soixante-dix ans. Taïwan est également démocratique depuis plus de vingt ans. Ce sont des situations très différentes.
Nicolas : La Chine est-elle vraiment en mesure de rompre son accord passé avec Hongkong sur une indépendance jusqu’en 2047 au minimum ?
Florence de Changy : La Chine est tenue de respecter l’accord par lequel elle s’est engagée à maintenir le principe « un pays (la Chine) et deux systèmes » jusqu’en 2047. La Basic Law, loi fondamentale, qui régit la région administrative spéciale de Hongkong prévoit un « haut degré d’autonomie » pour gérer ses propres affaires (justice indépendante, monnaie indexée sur le dollar…). Hongkong délègue en revanche sa défense à la Chine.
Manifestations à Hongkong, / DALE DE LA REY / AFP
Georges B : J’aurais voulu connaître les enjeux qui pèsent sur les habitants de Hongkong, les ayant poussés à sortir dans la rue ? Quelles libertés sont menacées ?
Florence de Changy : Les habitants de Hongkong se sentent menacés par une intrusion, une ingérence croissante de la Chine dans leur vie et leurs modes de vie. Ils ont perçu qu’avec cette loi d’extradition la Chine pourrait à tout moment réclamer qu’un citoyen hongkongais, ou même un étranger de passage à Hongkong, soit extradé en Chine. Cette seule idée leur est insupportable, d’autant que la justice de Hongkong a une excellente réputation, même si la Chine peut, là aussi et dans des circonstances particulières, intervenir.
Nicolas : Au final, quel est véritablement l’intérêt de manifester puisque, de toute façon, en 2047, selon le traité sino-britannique, Hongkong retournera à la Chine ? Ils ne font que retarder l’inévitable.
Florence de Changy : Les manifestants auxquels j’ai posé la question m’ont dit : « 2047, il est trop tôt pour y penser. » Ce qu’ils veulent, c’est que Hongkong reste Hongkong, comme prévu par la loi, jusque-là. Il serait évidemment normal que, dix ou quinze ans avant l’échéance, une réflexion s’engage sur l’après-2047. Mais beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là.
Lorsque cette échéance avait été fixée par Deng Xiaoping et Margaret Thatcher, il semblerait que l’idée non explicite était que, d’ici là, lancée comme l’était la Chine dans les années 1980, elle serait sans doute démocratique et la fusion des deux systèmes serait presque naturelle…
Manifestations à Hongkong, / Kin Cheung / AP
M : Quels sont les effets des soutiens internationaux ?
Florence de Changy : Les interventions de la communauté internationale exaspèrent Pékin, mais cela montre au passage que la Chine n’y est pas indifférente. C’est peut-être à double tranchant, car Pékin aime dire que les manifestants sont soutenus par l’étranger, même si ce discours n’a que peu de crédibilité.
Pierre R. : Y a-t-il eu des manifestations pro-extradition et, si oui, combien de manifestants ?
Florence de Changy : Selon le quotidien officiel China Daily, 800 000 personnes, mais moi, sur place, je n’en ai vu aucune ! A vrai dire, les manifestants prochinois sont assez faciles à repérer, car ils sont assez souvent payés pour participer à certains événements. Donc ces manifestations pro-Pékin existent, on en a vu beaucoup lors de la visite du président chinois le 1er juillet 2017, mais cela n’a pas grande valeur. Les participants refusent d’ailleurs souvent de parler et, si on leur pose des questions, ils n’ont (selon mon expérience) aucune idée de ce à quoi ils participent…
Pourquoi Hongkong est (encore) dans la rue
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