Est-ce, comme le dit le directeur du Tour, Christian Prudhomme, à l’AFP, « l’ombre tutélaire d’Eddy Merckx qui [le] protège » ? Les circonstances semblent réunies pour que la Grande Boucle, qui s’élance samedi 6 juillet sur les terres de l’illustre Bruxellois, retrouve son éclat après une succession d’éditions aussitôt oubliées.

Chloroformé, depuis quatre ans, par l’infaillible équipe Sky, le Tour a aussi été rejeté dans l’ombre de l’actualité par l’attentat de Nice, les campagnes de l’équipe de France de football, ou l’affaire Benalla. Il s’est souvent également élancé, ces dernières années, dans les effluves de soupçons, liées à la présence présumée de moteur dans les vélos – l’Union cycliste internationale, sous la présidence du Britannique Brian Cookson, était accusée de traiter la question avec légèreté – ou à la résolution in extremis, en 2018, du contrôle anormal au salbutamol du Britannique Christopher Froome, qui lui avait valu les sifflets du public.

A Bruxelles, le temps est clair. Aucune affaire de dopage en souffrance. L’équipe de France féminine de football a eu la courtoisie de ne pas prolonger son parcours jusqu’au mois de juillet. Et la configuration sportive invite même certains à prononcer un mot disparu du vocabulaire du Tour : « suspense ».

Aucune garantie de résistance

Il semble que, cette année, l’essentiel résidera autant dans le nom du vainqueur que dans la manière avec laquelle celui-ci l’emportera. Si le Tour de France célèbre son passé jusqu’à l’overdose, en matraquant les 100 ans du maillot jaune et le cinquantenaire de la première victoire du jeune Eddy Merckx, c’est qu’il ne trouve plus d’incarnation à sa mesure. Il se cherche une figure rassembleuse et enthousiasmante, si possible crédible et qui ne semble pas le fruit d’un algorithme.

Le forfait sur blessure du quadruple vainqueur de l’épreuve, Christopher Froome, leader de l’équipe Ineos (ex-Sky), qui, malgré ses efforts, n’a jamais vraiment conquis les cœurs, ouvre cette possibilité. La France rêve déjà de Thibaut Pinot et Romain Bardet. L’équipe Astana, effrayante de supériorité depuis le début de saison, pousse le Danois Jakob Fuglsang. La Grande-Bretagne pense pouvoir prolonger son règne, après la victoire de Geraint Thomas en 2018, avec une quatrième tête, un des jumeaux Yates, Adam ou Simon. Et la Movistar propose le trident Nairo Quintana-Alejandro Valverde-Mikel Landa.

Les Tours, qui suivent la fin d’une dynastie (1976, 1987, 1997 ou 2006), sont souvent plus ouverts, au moins dans les têtes. L’emprise psychologique que les monarques ont su imposer n’existe plus. Les prétendants ne donnent aucune garantie de résistance sur la durée d’un Tour de France, encore moins sur leur capacité à digérer la pression liée au maillot jaune. Bien sûr, Geraint Thomas (Ineos) a déjà donné des gages. Mais il manque de repères après une saison vierge de résultats, et on l’imagine déjà dans le rôle d’un Bjarne Riis en 1997, guidant un jeune coéquipier (Jan Ullrich) vers sa succession.

Car Ineos, dans son maillot couleur flammes de l’enfer, est l’Hydre de Lerne : une tête tranchée, deux autres ont poussé, celle du Colombien Egan Bernal et – moins effrayante à première vue – celle du Néerlandais Wout Poels. Le Tour de France a trois semaines pour trouver son Héraclès.