« High Life » : Claire Denis sonde le désir en apesanteur
« High Life » : Claire Denis sonde le désir en apesanteur
Par Jacques Mandelbaum
La cinéaste fait une incursion dans la science-fiction avec son nouveau film porté par Robert Pattinson.
Allons d’emblée aux deux raisons qui font de ce film une œuvre à sérieusement considérer, pour ne pas dire à passionnément aimer. La première est d’ordre cinéphilique. Incursion inaugurale de la cinéaste Claire Denis dans la science-fiction et le dialogue en anglais, High Life est à classer parmi les sommets du genre. Soit ces films rares qui ne s’adressent pas en premier lieu aux fanatiques de la catégorie mais à l’humanité sensible tout entière.
L’autre raison est qu’aucun film récent ne donne l’impression d’aller, au point où le fait celui-ci, à l’os de notre époque. Au diapason du grand bouleversement qui s’y annonce, de la grande peur écologique qui se lève. Peur non pas tant de ces épiphénomènes que sont l’iniquité et la barbarie en leur retour triomphant, mais, pour aller au principe, de l’épuisement convulsif d’une planète saccagée, de l’attraction avérée de l’humanité pour le néant. Peur, en un mot, de la fin dernière : de l’homme, du monde, de la vie tout ensemble.
Ici, un homme (Monte, interprété par Robert Pattinson) partageant un engin spatial visiblement délabré avec sa fillette de quelques mois, prénommée Willow. Le long et caressant préambule qui les réunit suscite d’emblée une forte émotion, teintée d’angoisse. Les tendres rapports du père et de l’enfant, l’impuissance où ils semblent se trouver pour changer leur situation produisent dans cet environnement confiné, dénué de tout autre présence humaine, le sentiment que le pire est sans doute déjà arrivé. Un long retour en arrière livrera au spectateur une compréhension un peu plus nette de la situation.
Perte irrémissible
Le navire est en réalité une prison, où l’on a rassemblé des condamnés à mort qui ont accepté, en échange de la commutation de leur peine, de se prêter à un programme d’expérimentation spatiale. Il s’agit à la fois de s’approcher d’un trou noir pour en étudier les sources d’énergie bientôt taries sur Terre, et de se prêter aux expériences de procréation menées par le docteur Dibs (Juliette Binoche), une médecin au dossier criminel chargé.
Dibs est, avec Monte, dont elle vole la semence durant son sommeil dans une séquence proprement stupéfiante, le pouvoir de la vie qui se transmet dans un engin pourtant programmé pour aller à la mort. La sensation du huis clos, de la solitude, de la terminaison des temps est si prégnante qu’elle parvient à nous rendre bouleversantes les images raréfiées de la Terre, qui interfèrent dans le récit. C’est, à travers ces simples images, le sentiment d’une perte irrémissible qui étreint le spectateur et le laisse inconsolable.
High Life, film français de Claire Denis. Avec Robert Pattinson, Juliette Binoche, André Benjamin (1 h 51)