Où en sont les « révolutions sexuelles » ?
Où en sont les « révolutions sexuelles » ?
Par Renaud Machart
Un documentaire en deux parties retrace soixante-dix ans de luttes pour la libération des mœurs et la reconnaissance des droits en Europe et aux Etats-Unis.
Révolutions sexuelles, de Sylvain Desmille, se présente en deux parties : « Le Droit au plaisir » et « Réinventer l’amour ». Ce documentaire se veut témoin du « foisonnement des secousses intimes, politiques et culturelles qui ont ébranlé nombre de sociétés depuis 1948 », date de la publication des rapports Kinsey, étude sur le comportement sexuel qui fit date autant que scandale.
Il fallait bien deux fois cinquante-trois minutes pour traiter un sujet aussi riche, divers et souvent paradoxal, avec un minimum de précision, de témoignages – parfois subtilement divergents – et de rappels historiques, enrichis par de très nombreuses archives télévisuelles internationales.
Car les thématiques sont nombreuses : les différences de mœurs et de libéralisme entre pays, le vêtement (bikini, minijupe), les femmes (mouvements féministes, avortement, pilule), les hommes (moindre différenciation du genre, cheveux longs, partage du plaisir sexuel), les homosexuels (pénalisation, révolte de Stonewall [1969], assassinat du conseiller gay de la mairie de San Francisco Harvey Milk [1978], dépénalisation, mariage), la famille, la pornographie (créative, industrielle, machiste), le sida, etc.
Certes, ces sujets ont été déjà traités ailleurs, et parfois dans des documentaires diffusés par Arte. Mais, comme cela se produit souvent quand il est décidé d’être aussi exhaustif que possible à propos de thématiques à entrées multiples, cette volonté de ne rien oublier ouvre un gouffre de frustrations.
« Péché suédois »
Au mitan du premier épisode, la Suède est évoquée pour son libéralisme et son « avance » sur d’autres pays – comme la France en particulier. « En 1944, rappelle le commentaire, y est abolie la sanction pénale contre la zoophilie et l’homosexualité ; en 1946, l’avortement est légalisé, certes sous conditions, et les adolescents sont libres d’acheter des préservatifs dans les pharmacies. »
Les films d’Ingmar Bergman, où est montrée la liberté corporelle d’une femme (Un été avec Monika, 1953) et, dix ans plus tard, la masturbation féminine (Le Silence, 1963), puis les premiers films pornographiques suédois feront parler, aux Etats-Unis, dans les milieux conservateurs, du « péché suédois ».
De sorte que la Suède a dû « s’adapter à cette image faussée qu’elle donnait d’elle-même ». Car, rappelle l’universitaire suédoise Mariah Larsson, « si la Suède peut donner l’impression qu’elle est permissive, il existe au sein de cette attitude tolérante des normes très fortes qui déterminent ce qui est accepté et ce qui ne l’est pas ». En fait, le rapport au corps était vécu là-bas comme naturel, et non pas comme fantasmatique.
Cette importante thématique, qui n’occupe que quelques minutes de ce documentaire pourtant bien pensé et réalisé, aurait mérité à elle seule de plus amples développements. Comme également, entre autres exemples, l’intéressant propos que tient, en conclusion du deuxième épisode, l’activiste et écrivain gay Jeffrey Escoffier (né en 1942) concernant l’assimilation dont se revendiquent aujourd’hui les jeunes homosexuels quand sa génération se voulait farouchement, révolutionnairement, « différente ».
Une vaste série documentaire déployée sur plusieurs soirées aurait donné plus de poids à ces sujets, parfois traités au pas de charge en dépit des commentaires, analyses et témoignages très intéressants recueillis par l’auteur.
« Révolutions sexuelles : le droit au plaisir » (première partie) ; Réinventer l’amour » (deuxième partie), documentaire de Sylvain Desmille (Fr., 2017, 2 x 53 min).
www.arte.tv/fr/videos/074562-001-A/revolutions-sexuelles-1-2/