La réélection de l’ex-procureur du « FIFAgate » en question
La réélection de l’ex-procureur du « FIFAgate » en question
Par Rémi Dupré
En charge des procédures en lien avec la Fédération internationale de football avant sa récusation dans ces affaires, Michael Lauber est candidat à sa réélection, en septembre. Et ce malgré l’enquête disciplinaire qui le vise.
Le président de la FIFA, Gianni Infantino, le 5 juin, à Paris. / FRANCK FIFE / AFP
Michael Lauber sera-t-il réélu pour un troisième mandat de quatre ans comme procureur général du Ministère public de la Confédération helvétique (MPC) ? Le 25 septembre, les 246 élus de l’Assemblée fédérale suisse décideront si le magistrat de 53 ans poursuivra ou non sa mission. « S’il ne dispose pas de la majorité le 25 septembre, le poste sera à nouveau attribué », explique le conseiller national (PS/ Berne) Matthias Aebischer, président de la sous-commission parlementaire en charge du MPC.
Depuis mai 2015 et le raid anticorruption mené à l’hôtel Baur au Lac de Zurich à la demande des autorités américaines, M. Lauber était en première ligne dans le cadre des scandales en lien avec la Fédération internationale de football (FIFA). Il est aujourd’hui sur la corde raide. En charge de la vingtaine de procédures liées à la FIFA depuis mars 2015 (dont l’attribution controversée du Mondial 2022 au Qatar), le procureur général suisse Michael Lauber, 53 ans, a été récusé, en juin, par la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral suisse de Bellinzone. En juillet, son appel a été rejeté.
A l’instar des magistrats Olivier Thormann et Markus Nyffenegger, M. Lauber a ainsi été dessaisi du dossier du « FIFAgate » et ne participera plus aux séances qui concernent ces enquêtes. C’est désormais le procureur général adjoint Jacques Rayroud qui est en charge de ces affaires.
Fragilisé par ses rencontres informelles avec Gianni Infantino
Des demandes de récusation avaient été émises par le Français Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la FIFA (2007-2015), qui fait l’objet de procédures pénales ouvertes en 2016 et 2017 par le MPC, et par le Suisso-allemand Markus Kattner, ancien directeur financier de la Fédération internationale.
Ces demandes de récusation ont été motivées par les révélations des « Football Leaks ». Ces derniers attestaient de deux rencontres informelles entre M. Lauber et Gianni Infantino, président de la FIFA depuis 2016. A la demande de la FIFA, partie civile dans les procédures en cours, le premier rendez-vous a eu lieu à l’hôtel bernois Schweizerhof, le 22 mars 2016, cinq jours après l’ouverture d’une procédure pénale contre M. Valcke.
Le 22 avril 2016, une deuxième rencontre de MM. Infantino et Lauber a eu lieu au restaurant Au Premier, à Zurich. Outre le chef de la division criminalité économique du parquet suisse, Olivier Thormann, Marco Villiger, alors directeur juridique de la FIFA, a également assisté à ce rendez-vous.
M. Lauber fait actuellement l’objet d’une enquête disciplinaire de l’autorité de surveillance du MPC (AS-MPC) pour avoir rencontré secrètement, en juin 2017, à Berne, Gianni Infantino, et ne pas l’avoir mentionné lors de son premier interrogatoire. Le contenu des échanges, qui ont eu lieu en dehors de tout cadre procédural, n’a jamais été notifié.
Guerre juridique
Eminemment politique, l’affaire Lauber s’est muée en guerre juridique. Le 2 août, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a estimé, dans un arrêt, que l’AS-MPC n’aurait pas dû déléguer son enquête disciplinaire au professeur Peter Hänni, professeur émérite de droit constitutionnel et administratif.
Le TAF a par ailleurs stipulé que l’autorité de surveillance du parquet suisse ne pouvait pas non plus confier à M. Hänni le mandat de prendre des décisions. Or, ce dernier avait refusé d’admettre les avocats Lorenz Erni et Francesca Caputo, choisis par M. Lauber pour sa défense. M. Hänni invoquait un conflit d’intérêts dans la mesure où Me Lorenz Erni est par ailleurs le conseil de l’ex-président de la FIFA (1998-2015), Sepp Blatter.
Depuis septembre 2015, l’ancien patron du football mondial fait l’objet d’une procédure pénale, ouverte par le MPC, dans le cadre de la fameuse affaire du paiement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) fait, en 2011, à Michel Platini (mis hors de cause en mai 2018 par le parquet). Le MPC soupçonne d’autre part M. Blatter d’avoir signé, en 2005, « un contrat défavorable à la FIFA » avec l’Union caribéenne de football, dont le Trinidadien Jack Warner était le président.
Depuis près de quatre ans, le MPC ne s’est toujours pas prononcé sur la procédure pénale visant M. Blatter, qui espère la clôture de l’enquête.
Un préavis rendu le 28 août par la commission judiciaire de l’Assemblée fédérale suisse
Contactée par Le Monde, l’AS-MPC indique qu’elle « analyse de manière approndie l’arrêt du TAF » et que « le délai pour utiliser le moyen de droit est encore en cours.» « Il s’agit de garantir une procédure objective, équitable et que l’enquête se déroule de manière conforme au droit et réglementaire. Elle est poursuivie par l’AS-MPC depuis le 30 juillet, développe l’Autorité de surveillance, qui a donc repris la main sur la procédure disciplinaire. Les experts ont cessé de diriger l’enquête avec effet immédiat. »
Quand l’AS-MPC rendra-t-elle ses conclusions ? « L’enquête doit être conduite de manière conforme au droit et réglementaire. Toute fixation de délais dénoterait un manque de sérieux», répond l’Autorité de surveillance.
Le calendrier est important dans la mesure où la commission judiciaire du Parlement suisse recommandera ou non la réélection de M. Lauber, le 28 août. « La Commission Judiciaire va prendre sa décision le 28 août sans attendre le rapport d’enquête intermédiaire mais après avoir auditionné l’AS-MPC », précise Jean-Paul Gschwin (PDC, Jura), président de la commission judiciaire, dont le préavis est purement consultatif.
Conseiller aux Etats (PS/ Bâle), Claude Janiak prend la défense de M. Lauber et rappelle que l’AS-MPC a estimé, dans son rapport d’activité 2018, que les rencontres informelles entre le procureur et M. Infantino « visaient en effet, dans le cadre d’une procédure extrêmement complexe, d’une part à faire le point après le changement de président de la plaignante, et d’autre part, à régler des questions de procédure relatives à la volonté de coopérer de la FIFA dans le cadre de la remise de documents internes. »
« Aucune influence sur les procédures en lien avec la FIFA »
M. Janiak renvoie par ailleurs aux déclarations du président sortant de l’AS-MPC, Niklaus Oberholzer, pour qui « le nombre de rencontres entre M. Infantino et M. Lauber ne changeait en rien l’appréciation du l’Autorité de surveillance sur le fond de la question. »
« La commission judiciaire ne fera qu’une analyse juridique des événements, observe le conseiller Matthias Aebischer. L’évaluation politique-qui inclut les réunions informelles avec Gianni Infantino ainsi que les actions du procureur au cours des derniers mois- est ensuite effectuée au sein des partis politiques. »
Pour M. Matthias Aebischer, le dénouement de l’affaire Lauber n’aura « aucune influence sur les procédures en lien avec la FIFA » dans la mesure où le procureur a été contraint de se récuser. Entre soupçons de collusion d’intérêts et zones d’ombre, cette affaire laissera pourtant des traces.