Législatives aux Pays-Bas : « Qu’il soit ou non le premier, Wilders est parvenu à imposer ses thèmes »
Législatives aux Pays-Bas : « Qu’il soit ou non le premier, Wilders est parvenu à imposer ses thèmes »
Dans un chat avec les internautes du Monde.fr, notre envoyé spécial à La Haye a décrypté les enjeux d’un scrutin qui pourrait faire une place de choix à l’extrême droite.
Geert Wilders à Valkenburg, le 11 mars. | Muhammed Muheisen / AP
Les Néerlandais se rendaient aux urnes, mercredi 15 mars, à l’occasion d’élections législatives scrutées de près en Europe, dans la mesure où elles pourraient consacrer l’assise électorale du parti d’extrême droite PVV et de son leader, Geert Wilders. Notre envoyé spécial à La Haye, Jean-Pierre Stroobants, a répondu aux questions des internautes.
Robin : Les Pays-Bas utilisent un système à la proportionnelle. Le parti de Geert Wilders aura-t-il forcément des sièges ?
C’est un système de proportionnelle intégrale visant à répartir les 150 sièges de députés. Un parti obtient un siège avec environ 63 000 voix – il y a 13 millions d’électeurs potentiels. En clair : chaque voix compte. Donc, oui, M. Wilders et le PVV auront en toute hypothèse des sièges : le parti en a eu 15 en 2012. Après les élections, il s’agit de trouver une coalition disposant d’une majorité suffisante – 76 sièges au moins – à la Deuxième Chambre. Et si possible à la Première Chambre (Sénat), ce qui n’était pas le cas du gouvernement sortant.
Théobald : Par rapport aux législatives en France, l’enjeu est-il important aux Pays-Bas ?
Il est important parce que M. Wilders propose, entre autres, une sortie de l’Europe et de l’euro, qui aurait sans doute de lourdes conséquences pour l’économie de ce pays très « entrepreneurial » et très exportateur.
Une victoire de Wilders serait symbolique, puisqu’il est quasiment impossible qu’il devienne le premier ministre, personne ne voulant gouverner avec lui. Les deux partis qui ont négocié avec lui en 2010 – non pas une coalition, mais le soutien « extérieur » de leur parti envers lui – s’y refusent cette fois. Il s’agit des chrétiens-démocrates du CDA et des libéraux du VVD, la formation du premier ministre sortant, Mark Rutte. Celui-ci a un peu attendu, mais il a dit et répété qu’il refusait désormais de parler avec M. Wilders. Sans doute parce que celui-ci s’est, depuis, encore fortement radicalisé.
Une victoire du PVV influencerait sans doute durablement la vie politique du pays et les rapports entre les communautés, globalement paisibles mais qui peuvent se tendre s’il apparaissait que les Néerlandais veulent faire d’un parti xénophobe la première formation politique.
CLG : Pouvez-vous faire un commentaire sur la montée de l’extrême droite aux Pays-Bas, alors que le pays a un taux de chômage inférieur (5 %) à celui de la France et une croissance autour de 1,5 % ?
Apparemment, la situation économique, sociale et financière très favorable du pays, avec un surplus budgétaire et des exportations en forte hausse, influence peu le comportement des électeurs. Sans doute parce que, depuis une quinzaine d’années, le pays est focalisé sur les questions d’identité, d’intégration, d’immigration, de « normes et valeurs ». Qu’il soit ou non le premier ce soir, Wilders – comme l’autre populiste Pim Fortuyn avant lui – est en fait parvenu à imposer ses thèmes. Que les autres partis ont, peu ou prou, repris, avec bien entendu des nuances.
Ceci dit, les Pays-Bas restent un pays très tolérant sur bien des questions de société : le cannabis, l’euthanasie, les droits des homosexuels. Et aucun politique ne parle de modifier le cours des choses sur ces thèmes.
Clément : Plusieurs articles soulignent la radicalisation récente du parti de Geert Wilders. Comment s’est-elle matérialisée ?
Il a démarré avec un programme anti-immigration et en insistant sur le risque terroriste. Il évoque désormais la fermeture complète des frontières, le renvoi des immigrés délinquants disposant d’une double nationalité ou leur incarcération dans des centres spéciaux, traite l’Europe d’« Etat nazi », veut fermer toutes les mosquées et interdire le Coran qu’il assimile à Mein Kampf.
Qui est Geert Wilders, le leader de l’extrême droite néerlandaise ?
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« Un Franco-Néerlandais » : L’actualité est toujours focalisée sur l’extrême droite. Pas un article sur les autres partis qui montent comme Groen-Links (Gauche verte) ou sur la gestion du pouvoir par Mark Rutte ou l’effondrement attendu du PVDA (travaillistes)…
La relative focalisation sur Wilders s’explique sans doute par un contexte : l’élection surprise de Donald Trump, le Brexit obtenu sous la pression des populistes et la perspective des élections en France et en Allemagne, où la montée des forces populistes est une évidence.
Des analystes néerlandais refusent de catégoriser M. Wilders en tant que dirigeant d’extrême droite : ils parlent d’un populiste xénophobe et anti-islam. Sur certains thèmes comme la Sécurité sociale, les investissements dans la santé, l’aide aux personnes âgées, les droits des homosexuels, le mariage pour tous, il défend des positions qui n’ont rien à voir avec l’extrême droite classique. Il n’est pas non plus antisémite. Son discours bouscule les catégories classiques.
Clément : Des tensions sont apparues entre la Turquie et les Pays-Bas, avec l’annulation des meetings pro-Erdogan. La fermeté du premier ministre Mark Rutte à cette occasion était-elle « surjouée », afin de capter une partie des électeurs tentés par le parti de Geert Wilders ? Ces événements peuvent-ils influencer le résultat de l’élection ?
Compte tenu de ce qui se disait à Ankara, M. Rutte, soutenu par la quasi-totalité des partis et plus de 80 % des citoyens, se devait d’être intransigeant, sous peine de s’exposer aux foudres de M. Wilders. Celui-ci n’a pas eu la marge de manœuvre nécessaire, devant se contenter d’affirmer que le premier ministre était soudain ferme parce que lui-même était derrière la porte.
Sur l’influence électorale de la querelle, les avis des électeurs semblaient très partagés mercredi matin, certains saluant l’action de Rutte, d’autres disant que, s’ils n’avaient pas songé à voter Wilders jusqu’à ce moment, ils le feraient cette fois.
Gui a Dam : Les résultats des élections impliquent-ils forcément une modification du gouvernement en place ?
La reconduction de la coalition sortante est très peu probable. Les deux partis qui la composent devraient perdre beaucoup de sièges : une quinzaine probablement pour les libéraux, vingt-cinq au plus pour les sociaux-démocrates.
Pour la suite, tout semble ouvert. L’hypothèse la plus souvent avancée est une reconduction de M. Rutte, qui devrait conclure un accord avec trois partis pour former un gouvernement. Sans doute les centristes, les chrétiens-démocrates et peut-être les écologistes. Mais sous réserve des résultats… En fait, il n’y aura plus de « grands » partis ce soir, mais quelques moyens et beaucoup de petits.
PE : Jesse Klaver, le leader de Groen-Links, a-t-il une quelconque chance de créer la surprise ?
Peut-être pas une chance de gouverner en tant que premier ministre, mais en tant que membre éventuel d’une coalition. Groen-Links a connu des résultats en dents de scie dans son histoire et obtenu 4 sièges seulement en 2012. Grâce à la campagne et à la personnalité de Klaver, les sondeurs lui en prédisent de 15 à 20 cette fois. Devenant peut-être la première force de gauche, GL remporterait alors une belle victoire et se rendrait, qui sait, incontournable pour la formation d’une majorité.
Il est comparé à Justin Trudeau et son modèle est John Kennedy. C’est le plus jeune dirigeant politique du pays et il a une excellente image, notamment chez les jeunes. Il est un ancien haut conseiller des pouvoirs publics et dirige Groen-Links depuis 2015.
Jeff Karpov : La fragmentation du Parlement semble une hypothèse sérieuse. Peut-on imaginer que les Pays-Bas soient plongés dans une crise politique comme le fut l’Espagne jusqu’à récemment ?
Les négociations sont parfois très longues dans un système de coalition comme celui-là. Le seul avantage du royaume est que beaucoup de partis sont susceptibles de faire l’appoint de sièges, ce qui n’est pas le cas dans le système espagnol.