Manifestation contre Emmanuel Macron à Paris, lundi 8 mai. | JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Editorial du « Monde ». On vit, décidément, une époque formidable. Ou plutôt, quarante ans après Reiser, excitée jusqu’à l’absurde et nerveuse jusqu’à l’aveuglement. L’on en veut pour preuve ce simple constat : à peine élu, voilà Emmanuel Macron récusé par certains.

Il n’a pas encore pris ses fonctions et voilà sa légitimité mise en doute. L’on ne sait rien de son gouvernement, pas même s’il aura une majorité à l’Assemblée et voilà, déjà, ses projets condamnés. Notamment par les procureurs de La France insoumise et les sans-culottes autoproclamés qui n’ont pas attendu 24 heures pour descendre dans la rue et décréter la « guerre sociale ».

L’outrance pourrait prêter à sourire si cette intolérance ne témoignait d’un fâcheux déni des règles de la démocratie. C’est, en effet, un étrange procès qui a été engagé, sans perdre une minute, contre le nouveau chef de l’Etat : il serait un président minoritaire, en dépit des 66 % de suffrages qui se sont portés sur son nom.

La démonstration se veut implacable. Elle souligne d’abord qu’un quart des Français (12 millions) n’ont pas été voter le 7 mai. C’est effectivement un record d’abstention depuis l’élection présidentielle de 1969. Elle pointe ensuite le nombre des électeurs qui se sont déplacés pour mettre dans l’urne un bulletin blanc ou nul et signifier ainsi leur défiance à l’égard des deux candidats en lice ; ils étaient 4 millions, nouveau record. Le calcul est simple : si l’on tient compte de ces 16 millions d’abstentions et de votes blancs, Emmanuel Macron n’a recueilli le soutien que de 43,6 % des électeurs inscrits. CQFD.

Contestation

C’est oublier une vérité élémentaire : il en est ainsi depuis un demi-siècle ! A l’exception du plébiscite en faveur de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen en 2002, aucun président de la Ve République n’a rassemblé sur son nom la majorité des inscrits. Le général de Gaulle en a recueilli 45,3 % en 1965, Valéry Giscard d’Estaing 43,7 % en 1974, François Mitterrand 43,8 % en 1988. Quant à Georges Pompidou en 1969 (37,5 %), François Mitterrand en 1981 (43 %), Jacques Chirac en 1995 (39,4 %) et François Hollande en 2012 (39,1 %), ils ont fait moins bien qu’Emmanuel Macron. L’on n’a pas le souvenir que, pour autant, leur élection ait été contestée.

Ce n’est pas tout, ajoutent les sceptiques. Quelque 40 % des électeurs qui ont voté Macron l’ont fait, disent-ils, pour faire barrage à la candidate du Front national. La belle affaire ! Comme si la victoire de François Mitterrand en 1981 ne résultait pas, pour une bonne part, du rejet de Valéry Giscard d’Estaing. Et tout autant celle de François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012.

Bref, il s’agit là d’un fort mauvais procès. Qu’il relève d’un mouvement général de contestation de la légitimité des autorités – politiques, notamment – est une évidence. Qu’il reflète l’état de doute, de défiance, voire de colère d’une partie des Français à l’égard de leurs gouvernants, ne l’est pas moins. Mais l’on ne saurait, sans danger, contester le principe même de l’élection : le président de la République est celui des candidats qui a obtenu la majorité des suffrages exprimés.

Il sera bien temps pour ses adversaires de combattre Emmanuel Macron sur le terrain parlementaire ou social. Qu’ils lui accordent, dans l’immédiat, non pas un état de grâce, ni même un délai de grâce, mais tout simplement le temps de s’installer, de constituer son équipe et d’engager son action. Ce serait la moindre des corrections démocratiques.