Une mobilisation contre le megaprojet Europacity dans le Val d’Oise
Une mobilisation contre le megaprojet Europacity dans le Val d’Oise
Par Rémi Barroux (Gonesse (Val d’Oise), envoyé spécial)
Porté par Auchan et un investisseur chinois, soutenu par la région Ile-de-France et l’Etat, ce projet consommerait quelque 700 hectares de terres agricoles.
A Gonesse (Val-d'Oise), dimanche 21 mai 2017, un millier de manifestants protestent contre le projet Europa City, visant à implanter un méga centre commercial et des activités de loisirs dans le triangle de Gonesse. | Photo : R. Bx.
Aux cris de « des radis, pas des caddies » ou « des patates et des radis, non à Europa City », des centaines de personnes ont manifesté, dimanche 21 mai, jusque dans le centre-ville de Gonesse (Val d’Oise) pour clamer leur refus d’un projet d’hypercentre commercial promu par le groupe de grande distribution Auchan.
Organisée par le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG), la manifestation, qui s’est déroulée dans une ambiance bon enfant et sous un soleil de plomb, était soutenue par de nombreuses organisations, dont France nature environnement (FNE), Les Amis de la terre, la Confédération paysanne, Solidaires, la CGT d’Ile-de-France ou encore Attac, Biocoop et le réseau d’Amap. Venus en car de Nantes, les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont aussi marqué leur solidarité contre un autre « projet d’artificialisation de terres agricoles ».
« Les similitudes sont nombreuses entre nos combats, explique Julien Durand, l’une des figures historiques de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa). Les décisions sont prises par des grands groupes financiers, Vinci chez nous, Auchan ici. » Pour entretenir ces liens de solidarité, le CPTG et la lutte de Gonesse seront les invités d’honneur du rassemblement annuel qui se tiendra sur la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, les 8 et 9 juillet.
3 décharges, 2 aéroports et 2 autoroutes
Dans le triangle de Gonesse, l’enjeu n’est pas un aéroport. Celui-ci est déjà construit, à Roissy et les avions survolent sans relâche la zone. « Nous avons trois décharges, deux aéroports et deux autoroutes sur notre petit territoire, ça suffit, il faut s’opposer à ce projet nuisible et très coûteux », tonne dans la sono le président du CPTG, Bernard Loup. Ce projet devrait bénéficier d’« un milliard d’euros de financement public » pour construire une gare, destinée à desservir un centre commercial géant, ainsi qu’un parc d’attractions climatisé. Une piste de ski artificielle a même un temps été envisagée.
Soutenu par l’Etat et la région Ile-de-France, le projet de 3,1 milliards d’euros est porté par Immochan (filiale d’Auchan) et un investisseur chinois, Dalian Wanda, spécialisé dans l’immobilier et le divertissement. Avant de voir le jour en 2024, il aura consommé 701 hectares de terres agricoles.
Si aucune ZAD ne s’est installée sur ces lieux immenses où pourrait être construite cette vaste zone d’activité commerciale et hôtelière, la guérilla juridique est, elle, bien engagée. En mai 2016, le député européen écologiste Pascal Durand a saisi la Commission des pétitions du Parlement européen pour violation par le projet du Triangle de Gonesse de plusieurs directives européennes, notamment – comme pour Notre-Dame-des-Landes – l’absence d’évaluation globale du caractère cumulatif des différents projets (ZAC, Europa City, Golf de Roissy, ligne 17 du futur métro du Grand Paris Express qui desservirait la gare de Triangle de Gonesse et qui a été déclarée d’utilité publique le 16 février).
Diverses procédures judiciaires
La bataille est aussi menée devant la justice française. Diverses procédures sont en cours, dont le recours, déposé en novembre 2016, contre l’arrêté préfectoral de création de la ZAC devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, contre la déclaration d’utilité publique ou, bientôt, contre le futur Plan local d’urbanisme (PLU).
Certains écriteaux, dans la manifestation, apostrophent le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. « Hulot, au boulot », peut-on notamment lire. « S’il fait vraiment la transition écologique, nul doute qu’il s’opposera à ce projet comme à toutes les privatisations de l’espace collectif, ces disparitions de terres agricoles », espère Annie Lahmer, conseillère régionale d’Europe Ecologie Les-Verts (EELV).
Dimanche 21 mai 2017, à Gonesse (Val-d'Oise), des manifestants espèrent que le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, mettra fin au projet d'Europa City. | Photo : R. Bx.
Perchée sur son vélo, Aline Vue arbore un tee-shirt vert aux couleurs d’Alternatiba. La jeune femme refuse ce projet qui se fait au détriment d’une agriculture qui serait, selon elle, nécessaire pour nourrir l’Ile-de-France. « Il faut affirmer la résistance fertile pour préserver cette agriculture, plutôt que de construire des lieux où les gens viendront consommer en faisant des trucs débiles », affirme Aline Vue qui, dès le matin de ce dimanche ensoleillé, est venue planter symboliquement avec de nombreux enfants sur quelque 1 300 m2. Ce projet mené par le géant Auchan n’est pas le seul du genre.
La militante, normande et employée d’une mairie du Val-de-Marne, était de la lutte de la ferme des Bouillons qui, près de Rouen et depuis 2012, a lutté contre un autre projet d’Immochan. « Plusieurs collectifs anti-Auchan existent et se coordonnent contre ces projets inutiles et nuisibles, explique Aline Vue. A Cavaillon [Vaucluse], ce sont 45 ha visés, ou encore près d’Orléans, à Saint-Jean-de-Bray, le projet de village Oxylane de Décathlon [cette marque appartient, comme Auchan et de nombreuses enseignes, Kiabi, Saint-Maclou… à la famille Mulliez] », dénonce la jeune militante.
Agitant un drapeau aux couleurs de la CGT, Philippe (qui a préféré taire son nom), salarié de Servair, sur la plate-forme aéroportuaire de Roissy, déplore aussi ce projet nuisible à l’emploi et à l’environnement. « Les autres centres commerciaux qui existent dans le coin vont être menacés, les commerces de centre-ville vont être détruits par cette nouvelle concurrence et le climat, lui, va en prendre un coup avec de massives émissions de CO2. Tout va être bétonné, pourtant, c’est un joli coin ici », affirme le syndicaliste.
12 500 emplois promis
A Gonesse (Val-d'Oise), dimanche 21 mai 2017, contre le projet d'Auchan qui consommerait des centaines d'hectares de terres agricoles. | Photo : R. Bx.
Pas convaincu par les « 12 500 emplois directs » promis par les porteurs du projet, Philippe espère que la mobilisation va s’amplifier. Car les centaines de personnes, un succès pour les organisateurs, témoignent d’une mobilisation encore faible. « A Notre-Dame-des-Landes, il y a des agriculteurs qui résident sur les terres où doit être construit l’aéroport, alors qu’ici, ce ne sont que des terres agricoles, il n’y a pas de maisons expulsées. Ceux qui habitent ici ne sont même pas au courant de ce qui se prépare », explique Jean-Yves Souben, vice-président du CPTG.
Pour contrer ce dossier vieux de cinq ans, les opposants ont conçu une alternative, le projet Carma, soit coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole. « Nous voulons remettre une agriculture durable au centre, avec un pôle de production, de l’agroforesterie, un pôle de transformation et une conserverie, un pôle consommateur avec, par exemple, les cantines des lycées, et un dernier pôle de retraitement des déchets qui serviront à produire de l’humus qui ira sur les terres », développe Robert Levesque, un ingénieur agronome. Ce projet devrait être présenté le 4 juin à la ville de Paris, qui détient une partie des terres de ce triangle de Gonesse.