Minima sociaux : ce que l’on sait du « versement social unique »
Minima sociaux : ce que l’on sait du « versement social unique »
Par Jeanne Cavelier
A l’occasion de la trentième journée mondiale du refus de la misère, le président français lance une concertation sur la lutte contre la pauvreté. Retour sur l’un de ses engagements de campagne.
Un homme de 44 ans, qui vit à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, au milieu d’objets abandonnés par les voyageurs qu’il a collectés dans son squat, le 11 février 2015. / JOEL SAGET / AFP
C’est une promesse de son programme : Emmanuel Macron s’était engagé lors de la campagne présidentielle à créer « un versement social unique », regroupant toutes les allocations sociales. Les associations conviées à l’Elysée mardi 17 octobre dans le cadre du lancement d’une concertation de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes se sont empressées de la lui rappeler, en particulier le Secours catholique et la Fédération des acteurs de la solidarité.
Une réflexion sur ce dispositif a été évoquée par Agnès Buzyn le 21 septembre. Le cabinet de la ministre de la santé et des solidarités refuse pour le moment de répondre aux questions du Monde sur le sujet, les estimant « prématurées ». Quelques pistes cependant sur le dispositif qui pourrait émerger.
Une fusion des allocations
Dans le chapitre de son programme consacré aux personnes modestes, le candidat Macron promettait de créer « un versement social unique » :
« Toutes les allocations sociales (APL, RSA…) seront versées le même jour du mois, un trimestre maximum après la constatation des revenus (contre jusqu’à deux ans aujourd’hui). »
Cette idée s’inspire notamment de la « couverture socle commune » promue dans le rapport Sirugue, remis au premier ministre Manuel Valls en avril 2016. Le député de Saône-et-Loire proposait de fusionner dix minima sociaux – le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation veuvage (AV), le revenu de solidarité outre-mer (RSO), la prime transitoire de solidarité (PTS), l’allocation temporaire d’attente (ATA) et l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).
Cette couverture serait « accessible à tout individu dès 18 ans », alors qu’il faut avoir 25 ans aujourd’hui pour bénéficier du RSA. Son versement serait automatisé, ce qui suppose une coordination des différentes administrations sociales, qui n’auraient plus besoin de demander plusieurs fois les mêmes justificatifs. Christophe Sirugue évoque également un « complément d’insertion » pour accompagner les actifs et un « complément de soutien » pour préserver les ressources des personnes handicapées ou âgées. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis une proposition similaire dans un avis voté en avril 2017.
Lutter contre l’exclusion et la grande pauvreté
Une fusion des aides viserait à réduire « la complexité et la diversité des règles applicables aux allocataires », qui rendent parfois le système « inéquitable », précise le rapport Sirugue, un constat repris par Emmanuel Macron dans sa campagne. Les équipes du candidat estimaient que le dispositif de versement social unique – de toutes les prestations, pas uniquement les minima sociaux – toucherait plus de 12 millions de foyers, soit plus de la moitié de la population.
Pour le CESE, un « revenu minimum social garanti » permettrait de lutter contre l’exclusion. La France compte près de 9 millions de personnes pauvres, selon les données 2015 de l’Insee, soit environ 14 % de la population. Cette estimation considère un individu comme pauvre si ses revenus mensuels après impôts et prestations sociales sont inférieurs à 1 015 euros, soit 60 % du niveau de vie médian. Une autre définition établit ce seuil à 50 % du niveau de vie médian, soit 846 euros.
« Entre 2000 et 2014, le nombre de personnes sous le seuil de très grande pauvreté (40 % du revenu médian) a augmenté de 43,6 % », rappelle ATD Quart monde dans un communiqué appelant à un rassemblement sur le parvis du Trocadéro, mardi à 18 heures. Or la France, sixième puissance économique mondiale, s’est engagée en 2015, dans le cadre de la convention des Nations unies, à éradiquer la grande pauvreté d’ici à 2030.
Un montant à discuter
Les trente-huit associations du collectif Alerte, dont font partie ATD Quart Monde (Agir tous pour la dignité quart monde), Emmaüs ou le Secours catholique, approuvent l’idée de la fusion des aides mais elles souhaitent discuter avec le gouvernement de son montant. S’il ne reste « qu’une question technique » sans moyens supplémentaires, « le versement social unique ne résout rien », estime son président, François Soulage. Il faut un « revenu décent », qui « permette aux gens de se projeter dans l’avenir », dit-il.
S’appuyant sur des études de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes), il le chiffre à 800 euros par unité de consommation (système de pondération attribuant un coefficient à chaque membre du ménage), contre 545 euros actuellement pour le RSA. Pour l’obtenir, les bénéficiaires de ce dispositif devraient « s’engager dans un processus d’accompagnement, à l’image de ce qui se fait pour la garantie jeunes », une aide financière supérieure au RSA en échange d’un accompagnement vers l’emploi, précise M. Soulage.
Le CESE préconise de son côté de fixer le montant de son « revenu miminum social garanti » à 600 euros dès 2018, assorti d’un complément pour les personnes handicapées et âgées. Les rapporteuses suggèrent de le distribuer à chaque individu qui vit des minima, et non par unité de consommation, soit 1 200 euros pour un couple.
Des coûts plus importants
Le rapport Sirugue souligne que la fusion des minima sociaux engage des coûts budgétaires et administratifs « plus importants » mais « pleinement justifiés, dans la mesure où ils constituent un investissement de long terme ». Même constat pour le collectif Alerte, pour lequel un revenu décent est un « dû de la société ».
Dans une tribune parue au début de janvier dans Le Monde, la sociologue Delphine Chauffaut estime le surcoût du « minimum décent » à « environ 10 milliards d’euros, soit moins de 0,5 % du PIB ». Le dispositif « pourrait être financé par des aménagements par ailleurs opportuns de la politique fiscale (individualisation) et divers redéploiements », dit-elle.
L’Institut Montaigne chiffrait quant à lui le montant du « revenu décent » proposé par Manuel Valls lors de la primaire du Parti socialiste à 12 milliards d’euros. La proposition de l’ancien premier ministre visait également à fusionner les minima sociaux existants.