Onomatopées et combos 20-hits, le choc. Mercredi 6 mars, Glénat a publié Versus Fighting Story, premier manga dédié à l’e-sport en général et aux jeux de combat en particulier. Pixels a rencontré ses trois auteurs français, le scénariste Izu, la dessinatrice Kalon et le storyboardeur Madd, dans l’ambiance conviviale et électrique de l’Extra Life Café, à Paris.

Comment est née l’idée d’un manga sur l’e-sport ? Ce n’est pas un thème évident à adapter en bande dessinée…

Izu : Ce n’est pas simple comme question ! Cela fait quinze-vingt ans que je travaille en amateur puis en professionnel comme organisateur dans le jeu de combat. Par ailleurs, depuis dix ans, je suis également scénariste de bandes dessinées, mangas, etc. Un de mes plus vieux rêves, c’était de fusionner mes deux passions. Comme par ailleurs j’étais passionné de mangas sportifs – Captain Tsubasa, Slam Dunk, Eyeshield 21, etc. – j’avais envie de faire une série centrée sur les joueurs. Mais la vraie révélation, ça a été Hikari no go, un manga sur le jeu de go. Je ne comprends rien au go, mais j’ai adoré ce manga. C’est là que je me suis dit que j’allais faire un manga sur « Street ».

De gauche à droite, Madd (story-board), Kaon (dessin) et Izu (scénario), les trois auteurs du premier manga d’e-sport. / William Audureau (Le Monde)

Comment aborde-t-on la question du style quand on a déjà pour matériel d’origine une série de jeux, Street Fighter, qui est elle-même très stylisée ?

Kalon : On a eu une grosse discussion, on ne savait pas comment intégrer ces scènes. Finalement, comme on voulait que cela soit réaliste, que les gens aient l’impression de visionner un match, on a pris des screenshots de Street Fighter V et on les a redessinés. Il fallait qu’on le reconnaisse.

Izu : Pour les scènes de combat, il fallait respecter le matériel d’origine et ressembler au jeu. La vraie question c’était : comment rend-on dynamique une partie de jeu vidéo dans un manga ? Quand on fait un manga sportif, on dessine des mecs qui font vraiment du foot, là ce sont des avatars, cela implique une dichotomie en matière de narration. C’était nouveau en manga.

Pour dynamiser le récit, « Versus Fighting Story » alterne les plans sur les personnages réels et virtuels. / Glénat

Madd : C’est justement ce challenge, celui de prendre des screenshots d’un jeu vidéo et de les rendre dynamiques sur une planche de BD, qui m’a attiré dans ce projet. Les mangas sportifs arrivent à rendre dynamiques même des sports qui ne le sont pas. Il y a même des mangas de cuisine dans lesquels les héros s’enflamment, des serpents sortent de partout, tu as l’impression qu’ils font du catch.

Il y a des astuces ? Surtout que le jeu vidéo emploie un format rectangulaire au ratio 16/9e, tout le contraire d’une découpe en manga.

Tout à fait. En fait, niveau astuce, cela se passe dans le va-et-vient entre les personnages qui jouent et les personnages du jeu vidéo, dans la mise en page, dans les onomatopées. Mais je suis en perpétuelle recherche pour que cela ne soit pas répétitif. J’expérimente, je teste, je ne m’interdis aucun type de plan.

Un autre élément intéressant dans Versus Fighting Story, c’est l’opposition très forte entre tradition et modernité. Quelle est la part de nostalgie personnelle pour les débuts des tournois de jeux de combat dans les années 1990, et la part de ficelles scénaristiques pour instaurer une tension ?

« Versus Fighting Story » se veut un récit de rédemption dans le monde du sport électronique. / Glénat

Izu : Tout ce qu’il y a dans le manga, c’est essentiellement personnel. Je suis un vrai fan de retrogaming, et il y a une héroïne, vendeuse dans une boutique rétro, qui est tellement dans le snobisme qu’elle est incapable de se mettre au niveau de ses clients pour réussir à leur vendre quoi que ce soit – c’est l’une de mes tares en fait.

Au-delà de ça, dans l’e-sport il y a de vraies problématiques, entre les joueurs qui ne vont dans les tournois que pour se faire de l’argent et les gens qui sont dans la communauté, dans le plaisir, qui jouent depuis vingt ans.

Il y en a qui veulent rester « roots », et d’autres qui veulent devenir professionnels pour vivre de leur passion. C’est un ressort très exagéré dans le manga mais qui part de la réalité. Le message, c’est de dire qu’il ne faut pas cracher sur l’argent – c’est grâce à ça que la communauté a grandi, que des joueurs vivent de ça, que ce manga existe – mais la difficulté c’est de se souvenir d’où l’on vient. Les jeux de combat, c’est aussi prendre du plaisir.

Le personnage principal n’est pourtant pas un héros un peu naïf, représentant une forme de pureté, comme les shônen classiques, ces mangas d’action, mais un type arrogant, plutôt motivé par l’argent. Le choix est étonnant.

Izu : Le shônen, c’est un genre qui suit le mythe du héros, exactement comme Star Wars ou Harry Potter. Il y a deux manières d’aborder le genre, le récit de désillusion et le récit de rédemption, que j’apprécie bien plus. On va suivre un « bad guy » qui doit trouver le chemin de la lumière. Là, c’est la même chose, l’histoire d’un gros con, qui est monté très haut, puis tombe très bas, et va devoir réapprendre toute la discipline.

Ce type de perso me fait plus marrer. Et si tu démarres d’un personnage vierge, il faut tout lui apprendre de A à Z, or le jeu de combat est beaucoup plus complexe, il faudrait 50 tomes pour ça. Avec un héros qui connaît déjà les coups, après une défaite, ce qu’il va devoir réapprendre, ce sont les valeurs.

Le manga multiplie également les références extrêmement pointues au retrogaming.

Izu : C’est voulu. Souvent, quand on parle d’une passion, les gens ont tendance à se retenir pour ne pas perdre le grand public, mais en fait, quand tu regardes les générations geek qui regardent les youtubeurs, pas du tout, ils ont envie d’apprendre des choses. On essaie de les tirer par le haut. Je ne dis pas que c’est de la grande culture, ce manga, mais on va respecter le lecteur. Les 0,0001 % qui vont comprendre la référence seront contents, et les autres apprendront quelque chose, et se diront : au moins, ils ne trahissent pas le truc. Après, c’est aussi un trait de caractère de personnages qui sont de gros mabouls dans la vie. Ils sont forts, mais ils vivent dans les années 1990.

Ce qui est frappant dans le dessin, c’est de voir à quel point les références sont assumées. Par exemple, le commentateur, Andy Masters, est clairement Ken Bogard (célèbre commentateur français de jeux de combat).

Kalon : Tout à fait. On a demandé l’autorisation, comme pour tous les objets, tous les lieux. J’avais aussi beaucoup de références, beaucoup de photos.

Ken Bogard devient Andy Masters - jeu de mot sur le pseudonyme du célèbre commentateur, emprunté aux personnages de jeux de combat Ken Masters et Andy Bogard. / Glénat

Izu : C’est vrai qu’il y a un mélange de vrais personnages, de vrais-faux personnages, et d’authentiques inventions de notre part. Parfois ce sont des mélanges de plusieurs personnalités.

Kalon : On a plein de références. Le plus difficile en fait, c’est qu’ils ne se ressemblent pas. D’autant que Guillaume [Izu] a tendance à faire des scénarios riches en personnages. Pour les distinguer, on appuie leurs traits. On se retrouve au final avec des personnages secondaires qui sont plus marquants, un peu comme dans Orange is the New Black.

John-Claude Laffleur, un des personnages hauts en couleurs introduit par les trois auteurs. / Glénat

Il y a aussi des personnages fictifs qui sont des clins d’œil assumés, comme John-Claude Lafleur qui ressemble à Jean-Claude Van Damme.

Kalon : Il faut se faire plaisir parfois ! Il fallait qu’il soit un clin d’œil sans être un décalque simple.

Il fait aussi beaucoup penser à Rock Lee dans Naruto

Izu : C’est marrant, parce que la référence, c’était un acteur anglais qui avait cette coupe.

Madd : Moi quand je faisais le storyboard, je pensais chaque fois à Rock Lee, je pensais que c’était la différence ! C’est le même genre de personnage qui mise tout sur la force, sur l’entraînement corporel. Et puis il a une sorte de naïveté, et puis la coupe de cheveux aussi…

Izu : Maintenant que tu le dis.

Kalon : C’est dingue, on apprend des choses en interview ! Ne me huez pas, mais je ne lis pas Naruto, je n’ai jamais eu Rock Lee en tête. (rires)