« This is America » : le clip coup de poing de Childish Gambino
« This is America » : le clip coup de poing de Childish Gambino
Armes à feu, racisme contre les Noirs, violences policières, société du paraître… Dans son dernier clip, l’artiste dresse un portrait très sombre de l’Amérique, autour de nombreuses références.
Childish Gambino, le 7 mai 2018 à New York. / Evan Agostini / Evan Agostini/Invision/AP
Quatre minutes et autant de scènes coups de poing qui n’en finissent pas de faire parler d’elles. Le fléau des armes à feu, le racisme contre les Noirs américains, les violences policières, la société du divertissement et du paraître à l’ère des réseaux sociaux…
Le dernier clip de l’artiste Childish Gambino « This is America », portrait très sombre de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui, a rassemblé plus de 60 millions de vues depuis sa mise en ligne, samedi 5 mai. Il continue de nourrir le débat sur les réseaux sociaux et dans les médias américains, qui tentent d’en disséquer les nombreux messages et références, plus ou moins explicites et ouverts aux interprétations.
Le New York Times et Dazed, notamment, ont décortiqué plusieurs des messages qui y apparaissent. Comme le fait que les armes soient mieux traitées que les hommes : après la violente scène où un chanteur noir (le rappeur Young Thug) est abattu d’une balle dans la tête, on peut ainsi voir le corps de la victime être traîné, tandis qu’un homme vient soigneusement récupérer l’arme à feu dans un tissu rouge.
La scène de la fusillade d’un chœur d’église composé de chanteurs noirs américains fait, elle, plus explicitement référence à la tuerie raciste d’une église épiscopale de la communauté noire à Charleston, en 2015. Son auteur Dylann Roof avait alors déclaré vouloir déclencher « une guerre entre les races ».
Scènes festives et chaos
Les chorégraphies ont aussi toute leur signification, mélangeant des danses populaires aux Etats-Unis et des mouvements de la danse sud-africaine Gwara Gwara. Le contraste est saisissant entre les scènes festives, autour de lycéens qui dansent et, en arrière-plan, le chaos qui se déroule : émeutes, voitures qui brûlent, sirènes hurlantes de police…
Autre référence plus discrète du clip, celle à la figure de Jim Crow : en 1832, Thomas Dartmouth Rice, un comédien blanc, émigrant anglais, interprète Jump Jim Crow, une chanson populaire racontant les déboires d’un esclave noir, en se noircissant le visage et les mains. A partir de 1865, les mesures prises dans les différents Etats institutionnalisant la ségrégation seront dénommées les lois « Jim Crow ».
Shook by how fast I caught this reference. I haven’t seen a Jim Crow picture in years. Donald Glover did not come t… https://t.co/KwPeWBjX19
— nicky_furiosa (@Nichia)
D’autres références apparaissent et pourraient valoir de revoir plusieurs fois le clip.
Au-delà de la dénonciation du racisme et des armes à feu, le clip se veut aussi une attaque en règle de notre société du divertissement et du paraître, exacerbée à l’ère des réseaux sociaux, où la quête de succès et de l’argent empêche d’ouvrir les yeux sur l’oppression et la violence.
Ainsi, si l’on se concentre sur les scènes festives au premier plan, on pourrait facilement en oublier le chaos qui figure à l’arrière. Une courte scène montre aussi un groupe de jeunes en train de filmer les émeutes sur leur smartphone, faisant penser à la série Black Mirror, relève Dazed.
Le clip se termine sur Childish Gambino poursuivi par la foule, les yeux exorbités. Une fin qui, là encore, laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations. La scène a, en tout cas, rappelé à beaucoup d’internautes le film Get Out, qui traite également du racisme.
« Le rap est la forme artistique la plus libre »
Agé de 34 ans, Childish Gambino, de son vrai nom Donald Glover, confirme avec ce clip la multiplicité de ses talents : le rappeur et musicien est également acteur, scénariste, réalisateur, producteur, humoriste et DJ… Donald Glover a grandi dans la banlieue d’Atlanta, à Stone Mountain, où son père, postier, et sa mère, assistante maternelle, sont aussi famille d’accueil. Donald se réfugie dans l’écriture de sketchs, dans la lecture de pièces de théâtre. Sa préférée ? Huis clos, de Jean-Paul Sartre. No Exit (le titre anglais) est d’ailleurs le titre d’une de ses chansons. « Au lycée, racontait-il dans un portrait que Le Monde lui a consacré en 2014, ma mère avait insisté pour que je m’inscrive dans la section artistique, mais, en cours, je n’arrêtais pas d’écrire des histoires. Arrivé à la fac à New York, je me suis spécialisé dans l’écriture de scénarios. »
C’est au Sophomore College qu’il commence à rapper, alors que les radios diffusent en boucle le rap de son Sud : Outkast, Les Neptunes et Nelly. En même temps qu’il enregistre des mixtapes, il crée un collectif de comiques, Derrick Community : « On s’ennuyait à la fac avec des copains et on s’est mis à écrire des sketchs qu’on a postés sur YouTube. On a été les premiers. C’était nouveau, donc ça a marché tout de suite. »
Il est repéré et pris pour la série Community (diffusée sur NBC), mais ne s’arrête pas pour autant de faire de la musique :
« Je n’ai jamais séparé ma carrière d’acteur de celle de rappeur ou de scénariste. Pour moi, le rap est la forme artistique la plus libre, et peut-être la plus complète : j’y joue un personnage, j’invente un scénario et je compose ma bande-son. »