La Cour de justice européenne ouvre une brèche contre la Pologne
La Cour de justice européenne ouvre une brèche contre la Pologne
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen), Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
La juridiction autorise les tribunaux à rejeter au cas par cas la remise de personnes recherchées, à la suite des réformes de Varsovie.
Salle d’audience de la Cour de justice de l’Union européenne, à Luxembourg, en 2017. / Francois Lenoir / REUTERS
La Cour de justice de Luxembourg (CJUE), plus haute juridiction de l’Union européenne (UE), a rendu un arrêt important, mercredi 25 juillet, qui pourrait fragiliser la position de la Pologne à Bruxelles. Le gouvernement conservateur du PiS (Droit et justice) a mis sur les rails une réforme en profondeur de la justice, malgré les avertissements de la Commission européenne, qui pointe un « risque grave de violation de l’Etat de droit » et a enclenché une procédure rarissime (l’article 7 du traité de l’UE) pour convaincre Varsovie d’y renoncer – pour l’instant, en vain.
Interrogée par la Haute Cour irlandaise, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’UE avait à se prononcer sur le cas d’un ressortissant polonais arrêté en Irlande, faisant l’objet de trois mandats d’arrêt européens émis par des juges polonais pour trafic de stupéfiants. Son avocat a mis en avant un refus de remise aux autorités polonaises, au motif que la réforme de la justice dans le pays, engagée depuis 2016, l’exposait sur place à un procès non équitable.
La Cour de Luxembourg se garde bien de se prononcer sur la réforme judiciaire polonaise à proprement parler : a-t-elle mis les juges sous la coupe du politique ? Fragilise-t-elle les droits des justiciables ? Ce sera aux tribunaux irlandais de répondre à ces questions extrêmement délicates, explique en substance l’arrêt de mercredi.
« Eléments objectifs »
Cependant, la plus haute cour de l’UE reconnaît, de manière générale, que l’autorité judiciaire d’un pays membre « doit s’abstenir de donner suite » à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par un autre pays membre « si elle estime que la personne concernée risquerait de subir une violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable, en raison de défaillances susceptibles d’affecter l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’Etat membre d’émission ».
Pas question cependant, pour les juges du Luxembourg, que les mandats d’arrêt européens soient rejetés à la légère. « Le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen est une exception au principe de reconnaissance mutuelle qui sous-tend le mécanisme du mandat d’arrêt européen », explique l’arrêt. L’exception doit faire l’objet d’une « interprétation stricte », en deux temps.
Les juges irlandais vont d’abord devoir « évaluer, sur le fondement d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, l’existence d’un risque réel de violation » du droit à un procès équitable en Pologne. Ils pourront cependant s’appuyer sur la proposition de déclenchement de l’article 7 formulée par la Commission en décembre 2017, précise l’arrêt, car elle contient « des éléments particulièrement pertinents ».
L’autorité judiciaire d’exécution du mandat d’arrêt européen devra, dans un deuxième temps, « apprécier, de manière concrète et précise », si dans le cas précis de la personne recherchée, cette dernière court effectivement le risque d’un procès non équitable. La balle est donc dans le camp de la justice irlandaise, dont la décision pourrait faire grand bruit.
La justice européenne parviendra-t-elle à ses fins là où la Commission de Bruxelles est à la peine ? L’institution communautaire a échoué à convaincre le gouvernement du PiS de renoncer à sa réforme de la justice, ou de l’amender sérieusement, malgré le déclenchement de l’article 7. Il faut dire que les Etats membres ont jusqu’à présent traîné des pieds pour avancer dans cette procédure pouvant aller jusqu’à la levée des droits de vote d’un pays au Conseil européen.
« Défense absurde »
Mercredi, les autorités polonaises ont préféré insister sur les subtilités de l’arrêt. « La sentence de la Cour [de Luxembourg] est proche de la position du gouvernement polonais, a affirmé le ministre de la justice Zbigniew Ziobro. Dans aucun point de son arrêt, la Cour n’a constaté une atteinte à l’Etat de droit en Pologne. Contrairement à ce qu’a voulu le tribunal irlandais, la CJUE n’a pas donné son accord à un refus automatique d’extradition du suspect. »
Le ministre a aussi estimé que le tribunal irlandais avait « adopté sans esprit critique la ligne de défense de l’accusé, qui a le droit de se défendre de toutes les manières, même les plus absurdes ». Cette décision survient alors que le Sénat polonais a définitivement adopté, dans la nuit de mardi à mercredi, la cinquième réforme de la Cour suprême votée depuis l’arrivée des ultraconservateurs du PiS au pouvoir. Elle est considérée par une quasi-unanimité de juristes comme la dernière étape de la mise sous tutelle du système judiciaire polonais. Le but principal du texte est en effet d’accélérer l’élection d’un nouveau président de la Cour suprême en remplacement de Malgorzata Gersdorf, qui refuse de partir à la retraite comme souhaité par le gouvernement.