LES CHOIX DE LA MATINALE

A priori Bradley Cooper, star hollywoodienne, et Valeria Sarmiento, réalisatrice franco-chilienne, n’ont rien en commun. Reste que tous deux tentent avec succès de faire repartir de vieilles machines, le mélodrame par le biais du remake pour le premier, le roman-feuilleton par celui de l’adaptation pour la seconde. Et une fois qu’on aura pleuré comme Margot, on pourra aussi se plonger dans les mystères de la guerre en ex-Yougoslavie, s’émouvoir aux amours fugitives d’Amin et Gabrielle ou soutenir les efforts de Romain Duris pour devenir un père exemplaire.

Exquises incertitudes du roman-feuilleton : « Le Cahier noir »

LE CAHIER NOIR Bande Annonce (2018) Romance
Durée : 01:24

Cinéaste chevronnée (sa passionnante filmographie, à laquelle la Cinémathèque consacre une rétrospective jusqu’au 7 octobre, compte une quinzaine de titres), Valeria Sarmiento est aussi connue comme la monteuse et compagne du cinéaste chilien Raoul Ruiz (1941-2011).

Pour la deuxième fois, après Les Lignes de Wellington, elle puise dans la veine qui a donné naissance à l’ultime chef-d’œuvre de Ruiz, Les Mystères de Lisbonne. Adapté d’un récit du même auteur, Camilo Castelo Branco (1825-1890), Le Cahier noir reste fidèle à la forme de son matériau, le roman-feuilleton. Les tribulations d’une nourrice (jouée par Lou de Laâge) et de l’enfant qu’elle tente de protéger, se heurtent à de noires machinations, qui sont aussi bien le fait des aristocrates que des prélats.

Sans viser la grande forme et les arabesques somptueuses des Mystères de Lisbonne, Le Cahier noir se présente comme une déclinaison de celui-ci sur le mode mineur d’une série B. Tout ici est mis en scène avec une économie judicieuse qui, à force de litotes visuelles et narratives, parvient à suggérer une scène historique agitée d’obscurs mouvements, passant allègrement de Rome à Londres, de Parme à Paris, glissant de salons en chambres et de couloirs en catacombes.

Avec son image en dégradés de couleurs rouge et noir et sa palette de comédiens aux interprétations flottantes, résolument non naturalistes, le film de Valeria Sarmiento oscille ainsi sans cesse entre le drame historique et le soap opera, entre l’attrait du mystère et la vacuité qu’il recouvre. Son véritable objet est bien sûr la valse vertigineuse des identités. Mathieu Macheret

« Le Cahier noir », film franco-portugais de Valeria Sarmiento. Avec Lou de Laâge, Stanislas Merhar, Niels Schneider, Jenna Thiam, Fleur Fitoussi (1 h 53).

Rétrospective Valeria Sarmiento, jusqu’au 7 octobre à la Cinémathèque française, 51, rue Bercy, Paris 12e.

A la croisée de deux solitudes : « Amin »

Amin, bande-annonce, sortie le 03/10/2018
Durée : 01:32

Chacun des films de Philippe Faucon veut saisir le moment miraculeux d’une possible compréhension des choses et des êtres qui nous semblent a priori étrangers. Voyez Amin. Une sorte de moment épidermique. Une rencontre improbable. Une histoire simplissime, encore que complexe en ses ressorts intimes.

Amin est un père de famille sénégalais qui est ouvrier dans le bâtiment en France pour rapporter non pas du superflu, mais juste le nécessaire au village. On connaît, de l’extérieur, sa vie française : jongler en permanence avec les chantiers et avec les équipes, travailler à flux tendu, déborder sur la nuit. Exténuant. On connaît moins, en revanche, la relation des travailleurs immigrés avec cet arrière-pays qui est le leur. Cela, le film le montre à l’occasion d’un retour occasionnel d’Amin. Une femme combative, qui défend au pays les intérêts de la famille mais lui tient rigueur de la tenir éloignée. Des enfants qu’il ne voit pas grandir.

De cet état des choses, mis en scène avec transparence et sobriété, insensiblement une intrigue prend corps. Retenu pour finir seul un chantier dans une maisonnette de banlieue, Amin, pourtant taiseux et rétif, est d’abord touché par la gentillesse de la propriétaire – Gabrielle (Emmanuelle Devos), une infirmière séparée d’un compagnon qui la harcèle – avant de consentir au rapprochement qu’elle met, peut-être inconsciemment, en œuvre.

Deux solitudes se sont simplement croisées le temps de ce film très ténu, délibérément inabouti, dépositaire d’un simple moment de réconfort amoureux sans visée ni calcul. Jacques Mandelbaum

« Amin », film français de Philippe Faucon. Avec Emmanuelle Devos, Moustapha Mbengue, Marème N’Diayé, Noureddine Benallouche (1 h 31).

L’une chante, l’autre boit : « A Star Is Born »

A Star is Born - Bande Annonce Officielle (VOST) - Lady Gaga / Bradley Cooper
Durée : 02:31

Dans des temps reculés, l’étoile naissante était une jeune femme (Janet Gaynor chez William Wellman, Judy Garland chez George Cukor) qui voulait briller sur les écrans. Puis vint le désir de soulever les foules en leur faisant face, et Barbra Streisand se rêva en rock star.

En théorie, la quatrième version de A Star Is Born aurait dû mettre en scène une célébrité virtuelle, une princesse de la Toile, une enchanteresse des réseaux sociaux. Mais Bradley Cooper qui a écrit et mis en scène cette Etoile est née du XXIe siècle est un homme de la vieille école. Il a beau avoir choisi Lady Gaga pour tenir le rôle de l’ambitieuse, cette idylle entre un chanteur de rock country alcoolique (voir Steve Earle, Larry McMurtry) qui remplit les stades (Bradley Copper) et une diva de cabaret qui n’a jamais percé parce qu’elle a un grand nez (Lady Gaga), repose sur des oppositions (la musique contre la vidéo, l’authenticité de la scène contre l’artifice du studio) d’un autre âge.

Tout ceci serait ennuyeux (d’autant que les compositions qu’ont fournies les interprètes ne sont guère enthousiasmantes) si l’on ne découvrait le formidable pouvoir d’attraction de Lady Gaga à l’écran. La reine de l’artifice joue ici le jeu du naturel. Elle se glisse sans efforts dans les stéréotypes que lui propose son scénariste de partenaire (d’abord protégée, ensuite protectrice, pour renoncer finalement à la symbiose), et accompagne avec une surprenante force de conviction son personnage sur le chemin de la gloire. Et ce, juste au moment où son étoile musicale pâlissait. Thomas Sotinel

« A Star Is Born », film américain de Bradley Cooper. Avec Lady Gaga, Bradley Cooper, Sam Elliott (2 h 16).

Sang d’encre : « Chris the Swiss »

CHRIS THE SWISS - Bande annonce officielle (vostfr)
Durée : 01:47

Anja Kofmel avait 10 ans quand ses parents lui ont appris la mort de son cousin Christian Würtemberg, parti comme journaliste pour la Croatie en guerre, dont le corps, revêtu de l’uniforme d’une milice a été retrouvé un matin de janvier 1992.

Son film va et vient entre les peurs et les fantasmes funèbres que cette annonce a dessinés dans sa psyché enfantine et son effort d’adulte pour effacer ces zones d’ombre, pour faire la lumière sur le destin de ce garçon qu’elle a admiré.

Les souvenirs et les peurs prennent la forme d’un film d’animation, aux mouvements fluides et effrayants, d’une noirceur aussi insondable qu’une bouteille d’encre de Chine. L’enquête mêle les images d’une guerre récente et proche – qui semble aujourd’hui aussi étrangère que les guerres des Balkans du début du XXe siècle – et les récits de témoins – journalistes, mercenaires – qui ont croisé le chemin de Christian Würtemberg pendant les quelques mois qu’il a passés en Croatie.

Jusqu’au bout, cette histoire reste lacunaire, sans doute délibérément. Anja Kofmel refuse d’établir le degré de sympathie qui liait son cousin à la cause ultra-catholique croate, pas plus qu’elle n’embrasse sans ambages l’hypothèse selon laquelle son engagement aurait été la couverture d’une mission (journalistique ou pas) clandestine. Elle préfère cultiver, dans les failles que laissent ces ambiguïtés, ses méditations graphiques sur la guerre, la fascination des hommes pour la violence, le poids de la religion et la force des cauchemars. T. S. 

« Chris the Swiss », film d’animation et documentaire suisse d’Anja Kofmel (1 h 30).

Père à tout faire : « Nos batailles »

NOS BATAILLES - Bande annonce
Durée : 01:52

Romain Duris a grandi, et le voici incarnant une certaine fragilité masculine dans Nos batailles, de Guillaume Senez. Acteur générationnel, le rebelle est devenu un « quadra » ; il joue le rôle d’Olivier, qui a choisi l’attelage à quatre : il a deux enfants et vit en couple. Ou plutôt vivait. Mais l’heure n’est plus à la chronique de la séparation, ni à la dispute sur la garde des bambins.

Si le deuxième long-métrage de Guillaume Senez, présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, en mai, a une dimension postmoderniste, il le doit d’abord à son scénario, coécrit par le réalisateur et Raphaëlle Valbrune-Desplechin.

La mère est partie, c’est un fait et on n’en parle plus, du moins dans la tranche de vie que l’on partage avec Olivier, contremaître dans un entrepôt de vente en ligne, et ses quelques proches qui viennent lui prêter main-forte : sa mère, présence discrète et décisive (Dominique Valadié), sa sœur légère comme une bulle d’air (Lætitia Dosch) et sa collègue, généreuse et syndiquée comme lui (Laure Calamy).

Ainsi allégé du prévisible « suspense » lié au devenir du couple, le film s’emballe de manière plus aventureuse au nouveau rythme d’Olivier : passé le choc, il est tenu par des fils invisibles qui à la fois le brident et le structurent, telle une marionnette qui découvrirait, stupéfaite, qu’elle est apte à débuter un mouvement qui lui est propre.

Ce n’est pas la première fois que Romain Duris change de peau et surprend. Dans Nos batailles, Guillaume Senez a (presque) réussi à lui faire tomber son masque de charmeur au sourire automatique, tout en lui donnant le beau rôle. Clarisse Fabre

« Nos batailles », film franco-belge de Guillaume Senez. Avec Romain Duris, Lætitia Dosch, Laure Calamy (1 h 38).

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 3 octobre)

  • A Star Is Born, film américain de Bradley Cooper (à voir)
  • Amin, film français de Philippe Faucon (à voir)
  • Le Cahier noir, film français et portugais de Valeria Sarmiento (à voir)
  • Chris the Swiss, documentaire et film d’animation suisse d’Anja Kofmel (à voir)
  • Nos batailles, film belge et français de Guillaume Senez (à voir)
  • Blindspotting, film américain de Carlos Lopez Estrada (pourquoi pas)
  • Frères ennemis, film belge et français de David Oelhoffen (pourquoi pas)
  • La Saveur des ramen, film japonais et singapourien d’Eric Khoo (pourquoi pas)
  • Shut Up and Play the Piano, documentaire allemand de Philipp Jedicke (pourquoi pas)
  • Upgrade, film australien de Leigh Whannell (pourquoi pas)

A l’affiche également :

  • 16 levers de soleil, documentaire français de Pierre-Emmanuel Le Goff
  • Alad’2, film français de Lionel Steketee
  • La Chasse à l’ours, programme biélorusse et britannique de trois courst-métrages d’animation de Joanna Harrison, Tatiana Kublitskaya, Robin Shaw et Ruslan Sinkevich
  • En mille morceaux, film français de Véronique Mériadec
  • Nico & Patou, fim d’animation finlandais et japonais de Mariko Härkönen et Ismo Virtanen
  • Une fois comme jamais, film français de Céline Pouillon