Quand le poker s’invite au programme des écoles de commerce
Quand le poker s’invite au programme des écoles de commerce
Par Elodie Chermann
Initier ses étudiants au poker, c’est le pari peu commun qu’a fait Grenoble Ecole de Management. Un moyen ludique de leur apprendre à gérer la prise de risque dans un environnement incertain.
« Pour réussir au poker, il faut de bonnes capacités d’analyse, d’anticipation, d’adaptation et de résistance au stress », estime Arsia Amir-Aslani, professeur à la GEM. / Franziska Tetzner/Fancy / Photononstop
Premier cours de l’année pour les 43 élèves du mastère spécialisé « management des entreprises de biotechnologies et pharmacie » de Grenoble Ecole de management (GEM). Au menu : pas de finance, pas de marketing, pas de stratégie, non, un serious game autour du… poker.
« Même si vous êtes tous des ingénieurs confirmés, vous devez bien garder en tête les principales caractéristiques du milieu dans lequel vous évoluez, commence, dans un anglais aux accents américains, Mark-Anthony Chanel, directeur du programme. Une industrie de haute technologie travaille sur de longues périodes de temps, demande de gros investissements, génère de hauts rendements en contrepartie d’un haut niveau de risque. »
Tellement d’incertitudes
Un diagramme apparaît sur l’écran du vidéoprojecteur. « Des études précliniques à l’autorisation de mise sur le marché, près de quinze ans sont nécessaires pour qu’une molécule d’intérêt thérapeutique devienne un vrai médicament », décrypte le professeur, qui rappelle qu’il y a tellement d’incertitudes technologiques, réglementaires, financières à gérer tout au long du parcours que « le développement peut s’interrompre à tout moment. » Or « l’objectif, quand on est chef de produit, est de savoir analyser les chances de succès au fur et à mesure et arrêter avant de tout perdre », rappelle l’enseignant à ses étudiants. D’où l’intérêt, pour s’entraîner à prendre des décisions dans un environnement peuplé de probabilités et d’incertitudes, de maîtriser les bases du poker.
L’idée est née il y a deux ans dans la tête de son prédécesseur, Arsia Amir-Aslani. « Pour réussir au poker, il faut de bonnes capacités d’analyse, d’anticipation, d’adaptation et de résistance au stress », rappelle ce dernier. Des qualités indispensables également dans les sciences de la vie, le domaine de l’innovation de l’extrême par excellence. Mais, « autant les Français sont à la pointe en matière de recherche et d’innovation, autant ils n’ont pas du tout la culture du business. Ils veulent en général prendre le moins de risques possibles », souligne ce docteur en biotech, professeur au département Management et technologie de GEM. Résultat : « Beaucoup d’entreprises de biotechnologies sont obligées de partir aux Etats-Unis pour trouver des investisseurs ».
« Dix coups à l’avance »
Assise au premier rang, Kémie Saulnier affiche une mine perplexe derrière ses grosses lunettes arrondies. « Je suis totalement novice, confie la jeune femme de 24 ans, titulaire d’un master 2 en médicaments biotechnologiques. Je sais que c’est beaucoup de stratégie, que les plus forts arrivent à anticiper jusqu’à dix coups à l’avance mais je doute de pouvoir en faire autant. »
Pour les débutants comme elle, un petit rappel des règles s’impose. « Deux cartes sont distribuées face cachée à chaque joueur, puis trois cartes sont posées face visible au milieu de la table, suivies d’une quatrième et d’une cinquième, explique Mark-Anthony Chanel. L’objectif pour chacun est de constituer la meilleure main avec cinq cartes et de miser en fonction de critères mathématiques, financiers, stratégiques, comportementaux, émotionnels, psychologiques et sociologiques. » Les étudiants se prennent au jeu. Des doigts se lèvent. « Qui parie en premier ? », lance un étudiant. « Quelle est la meilleure combinaison : la quinte royale, le full ou le brelan ? », demande un autre.
Pour mettre tout le monde dans l’ambiance, on projette à l’écran la retransmission des derniers championnats du monde de poker à Las Vegas. Neuf joueurs sont assis autour de la table, mais seuls deux sont encore dans la partie. L’un, lunettes et crâne dégarni, a une paire d’as dans son jeu, les cartes les plus fortes, l’autre, polo rose et casquette sur la tête, seulement une dame et un valet. Mais cela ne l’empêche pas de continuer à faire monter les enchères. « Dans la vie, il y a plusieurs types de profil : les gens réticents au risque, ceux qui sont indifférents au risque et ceux qui aiment le risque », commente le prof. Mais il prévient : « Le poker est un jeu d’agression. Pour gagner, il faut être un loup, pas un agneau ».
Margot Naegele a compris le message cinq sur cinq. « Dans la promo, on est tous issus d’une formation scientifique en biologie, en pharmacologie ou en chimie, souligne cette étudiante de 24 ans qui se verrait bien faire du marketing dans l’industrie vétérinaire. On est donc un peu naïf quand on arrive. Mais si on veut réussir dans les biotechnologies, on va devoir se montrer stratégique. Cela suppose d’apprendre d’abord à bien se connaître soi et à mieux comprendre les autres. »
Pour ce faire, rien de tel que de se mettre en situation. Après les trois heures de leçon théorique, Mark-Anthony Chanel organise un tournoi en ligne. Cachée derrière l’avatar Mac Demarco – un chanteur canadien –, Raphaëlle Riché se connecte, tout excitée : « A notre âge, on n’a jamais vraiment eu l’occasion de prendre des décisions importantes. Comme on n’a pas d’argent, on ne pense pas qu’on pourra investir dans un énorme projet un jour. Passer par le jeu permet de se plonger délicatement dans la réalité du business et de dédramatiser la prise de risque. Au moins un peu. »
« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre
La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.
Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.
L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.