Procès Séréna : déni, dénégation, maltraitance ; de quoi a souffert l’enfant du coffre ?
Procès Séréna : déni, dénégation, maltraitance ; de quoi a souffert l’enfant du coffre ?
Le Monde.fr avec AFP
Les experts tentent d’éclaircir le profil psychologique de l’accusée, qui a caché son bébé dans un coffre de voiture pendant deux ans.
Exposition des preuves lors du procès de Rosa Maria Da Cruz, mère de Séréna, à la cour d’assises de la Corrèze, le 12 novembre 2018. / GEORGES GOBET / AFP
« Déni absolu de grossesse », « dénégation d’enfant » ou « incapacité parentale » ? La cour d’assises de la Corrèze a exploré jeudi 15 novembre les ressorts psychiques qui ont pu amener une « bonne » mère de trois enfants à cacher le quatrième aux yeux du monde, avec des soins a minima entraînant des handicaps irréversibles.
« Indemne de toute pathologie psychiatrique », « pas psychotique », manifestant « une certaine normalité », une intelligence « d’une bonne moyenne », « pas manipulatrice », et « absolument pas perverse ». Mais aussi « très immature », présentant une « immaturité affective », et une « identité féminine floue et incertaine ».
Décrite par les experts, la personnalité de Rosa Maria Da Cruz n’a guère éclairé la cour sur le « pourquoi » d’une affaire de dissimulation hors normes. Mais plusieurs experts, parfois s’opposant, en ont décrit les mécanismes, évoquant une « génèse » possible dans ses maternités traumatiques précédentes.
« Chosification de l’enfant »
L’accusée a fait preuve d’un « déni de grossesse total », a estimé le psychiatre Jacques Bertrand. Un déni caractérisé par « l’inconscience de l’état de grossesse, l’absence de signe extérieur ou physiologique, par la transparence au regard de l’entourage, et par des antécédents similaires ».
Ce déni de grossesse, a-t-il poursuivi, a été suivi d’un « déni d’enfant ». Matérialisé, pour Séréna, par « la chosification de l’enfant », la « négligence de l’enfant », avérée s’agissant des vingt-trois mois de confinement et mauvais soins et la « nécessité de « mise au monde » symbolique par un tiers découvrant ». C’est un garagiste qui a trouvé l’enfant dans le coffre, en 2013.
Une experte parlera dans son rapport « de dénégation de grossesse » – c’est-à-dire « je sais que je suis enceinte, mais je ne veux rien savoir ». Idem pour la dénégation d’enfant : « je le regarde, mais je m’en vais, je ne veux pas savoir ».
Michel-Henri Delcroix, président de l’Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG), soulignera à la barre un « déni absolu » jusqu’à l’accouchement, un cas exceptionnel selon lui, car non suivi de néonaticide.
Parmi les nombreux experts entendus dans la semaine, Emmanuelle Bonneville-Baruchel, psychologue clinicienne et professeur de psychopathologie, a évoqué mercredi une « incapacité parentale ». Ce terme définit des compétences parentales avérées, puisque l’accusée est unanimement reconnue comme « bonne mère » de ses trois enfants, mais que l’on n’est pas en mesure de mobiliser. Cette incapacité peut être liée à un « événement de vie » : la « conséquence du vécu de répétition d’un événement traumatique ».
Plusieurs dénis de grossesse
Car est revenu, à maintes reprises au procès, le premier déni de grossesse. L’« accouchement catastrophe » de son deuxième enfant, en 2004 au Portugal au terme d’un déni total, déjà. Mais cette fois-là, la famille sauva la mise.
Une présence de tiers qui aurait tout changé à la naissance de Séréna, comme aurait sans doute tout changé un suivi adéquat depuis ce premier déni, a fortiori depuis la naissance du troisième enfant, en 2009, déni « partiel » réalisé au bout de 5-6 mois.
Mais le déni de grossesse « n’est qu’un symptôme, un comportement, pas une pathologie à part entière. Il n’est pas classé comme une maladie mentale », a souligné le docteur Bertrand. Et à ce titre, chez l’accusée, il n’y a pas de « raison psychiatrique d’invoquer une abolition du discernement ».
La défense soulève ce « vide scientifique », qui toucherait 1 600 à 2 000 femmes par an, selon des chiffres tirés d’un débat parlementaire, évoqués au procès. Ou plutôt un millier environ, selon le docteur Delcroix, venu plaider pour une meilleure prise en compte médico-judiciaire du déni, « problème de santé publique », et non simple « fait divers ».
Rosa Maria Da Cruz encourt vingt ans de réclusion, pour violences suivies de mutilation ou infirmité permanente sur mineur de 15 ans par ascendant. En famille d’accueil depuis sa découverte, Séréna souffre d’un « déficit fonctionnel à 80 % » et d’un « syndrome autistique irréversible ». Le procès se poursuit jusqu’à vendredi.