Mon histoire avec l’huile d’olive remonte à loin. A ce jour où Anita la Sicilienne m’a offert mon premier bidon. Je suis né en France, d’une mère parisienne et d’un père sicilien. C’est ma mère qui a souhaité nous emmener voir la Sicile la première fois, lorsque nous étions enfants, ma sœur et moi. Je crois qu’elle était curieuse de connaître ce côté méditerranéen, un peu ténébreux, de mon père.

Nous ne nous sommes jamais vraiment liés avec nos cousins, mais nous sommes devenus proches d’une autre famille, celle d’Anita, à Salaparuta. Nous les avons rencontrés par hasard, en faisant du camping, et nous ne sommes plus quittés. Tous les étés, nous traversions la France et l’Italie en voiture pour les retrouver, dans le sud-ouest de la Sicile. Nous plantions notre tente au bord de la mer. Les campings, à l’époque, c’était une clôture en bois, des douches, du sable, pas grand-chose de plus. A la plage, nous faisions notre vie entre enfants, libres comme l’air.

Julie Balagué pour M Le magazine du Monde

Je jouais beaucoup avec les filles d’Anita et, au fil des années, Marco, son fils, est devenu comme un frère. Lors de l’un de nos premiers séjours, à la fin des vacances, Anita nous a offert un gros bidon d’huile d’olive – son huile d’olive. Il y en avait assez pour toute l’année. La solennité et la générosité du geste m’ont marqué.

Plus qu’une huile, un trésor

C’était leur or vert, quelque chose de grande valeur, qui leur demandait beaucoup de travail. A l’époque, ils déviaient des cours d’eau pour créer des petits bassins, y écrasaient les olives avec des caillasses pour en extraire l’huile qui, plus légère que l’eau, restait à la surface, et était alors collectée par les grands-mères avec des coupelles. Vous imaginez le travail ? Pas étonnant que cette huile soit si précieuse à leurs yeux… Aujourd’hui, il y a des moulins, mais la production reste familiale. Chacun possède ses terres, ses parcelles. Chaque famille a son huile, et c’est bien sûr toujours la meilleure !

Quand j’ai arrêté le cirque et décidé de commercialiser ces produits, il me semblait essentiel, pour les mettre en valeur, de conserver cet aspect identitaire : ce que je vends, c’est l’huile de Marco, la Nocellara d’Anita ou d’Angelo, la Biancolilla d’Antonino… Chacune a sa personnalité, un profil organoleptique à l’image de son créateur, de la variété utilisée et de son terroir. Je travaille aujourd’hui avec près de 60 petits producteurs siciliens, c’est un vrai casse-tête, mais c’est aussi mon plaisir.

Julie Balagué pour M Le magazine du Monde

Chaque année, je les rejoins pour la récolte et la confection. Et chaque fois, à mon arrivée, Anita (qui a maintenant 82 ans), me prépare une assiette de crevettes fraîchement pêchées. C’est son geste de bienvenue, car elle sait que je raffole des crevettes crues. Un jour, j’y ai versé l’huile d’une petite olive autochtone, en voie de disparition, la Murtiddara. Son parfum très floral a fait exploser le plat, c’était incroyable, en goût comme en émotion… Il y avait une double caresse : celle d’Anita, et celle d’une huile issue d’un travail de cœur.

www.latetedanslesolives.com

La recette

Ingrédients (pour 2 personnes) : une quinzaine de grosses crevettes crues très fraîches, 4 c. à s. d’huile d’olive verte extra-vierge, si possible sicilienne de la variété Murtiddara, 1 petite gousse d’ail, ½ citron jaune de Sicile, 2 ou 3 branches de persil frais, effeuillé, 1 petit piment (optionnel).

Décortiquer les crevettes, retirer la tête et les déveiner (c’est-à-dire retirer le tube intestinal, en incisant légèrement le dos et en prélevant le boyau avec la pointe d’un couteau). Peler et écraser la gousse d’ail, la mélanger à l’huile d’olive dans une assiette creuse. Incorporer les crevettes crues puis ajouter le jus de citron.

Ajouter les feuilles de persil et laisser mariner au frais 15 à 30 minutes. Sel et poivre ne sont pas nécessaires, car les crevettes apportent l’iode, et l’huile d’olive, très verte et parfumée, condimente tout le plat.

Déguster en apéritif avec une tranche de pain grillé et un verre de vin blanc sec.