Au Niger, l’attaque de Bosso révèle la faiblesse de l’armée et fait débat
Au Niger, l’attaque de Bosso révèle la faiblesse de l’armée et fait débat
Par Nathalie Prevost (contributrice Le Monde Afrique)
Le recours à des troupes tchadiennes pour lutter contre Boko Haram n’est pas anodin, dans un pays où l’armée a souvent pris le pouvoir.
Une patrouille de soldats nigériens entre Diffa et Bosso, le 7 juin 2016 | ISSOUF SANOGO / AF
« Vive les forces de défense et de sécurité ! » « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » L’ambiance, en ce mercredi 8 juin sur les réseaux sociaux du Niger, est martiale. Avec force photos de blindés et de soldats nigériens en patrouille, une majorité d’internautes encouragent leur armée à venir à bout de Boko Haram, qualifiés de « peste », de « maudite nébuleuse », de « vermine » ou de « criminels prétendant agir au nom de l’islam ». Même les opposants disent ne pas vouloir en rajouter, en cette période de crise, au nom de la menace pesant contre l’intégrité du pays
Mardi 7 juin, le président Mahamadou Issoufou s’est rendu au Tchad demander l’aide de son armée pour déloger Boko Haram de l’extrême est du Niger, frappé ces derniers jours par une offensive éclair. Le président Idriss Déby a accepté et des troupes tchadiennes se sont mises en marche dès mercredi en direction de la frontière. Pendant ce temps, une attaque à l’ouest de Diffa, côté nigérian, à Kanama, a été repoussée par l’armée nigériane avec un appui aérien tchadien.
Vive polémique
La perspective du retour des Tchadiens, qui ont laissé un bon souvenir dans la région pendant les premiers mois de la guerre, rassure les habitants de Diffa et les Nigériens en général, encore sous le choc de la dernière attaque. Le « soulagement » est l’émotion qui domine, même si les populations civiles continuent de quitter la région.
Cependant, le recours à l’armée tchadienne, tout comme la gravité des pertes subies vendredi à Bosso, met cruellement en lumière les difficultés dans lesquelles se débat l’armée nationale. Une polémiquea rapidement enflammé les réseaux sociaux, critiquant l’armée, sa gestion ou carrément le régime du président. A l’inverse, les partisans du régime accusent leurs détracteurs de se faire les complices de Boko Haram. Ou des saboteurs du moral de l’armée.
Au Niger, l’armée est à la fois aimée et redoutée, tant elle a souvent été l’arbitre des crises politiques. On lui prête souvent des velléités de pouvoir et Mahamadou Issoufou ne fait pas exception, ayant lui-même déjoué, selon ses dires, deux tentatives de coup d’Etat depuis son accession au pouvoir en avril 2011. Depuis février 2015 et la guerre contre Boko Haram, l’armée du Niger a obtenu des arbitrages budgétaires en sa faveur, au détriment de certaines actions sociales du gouvernement.
« Nos forces de défense et de sécurité ont subi de lourdes pertes et les populations locales sont dans la désolation. Mais je pense qu’au-delà de la coopération régionale et internationale, il nous faut aussi regarder les failles de notre système de défense et apporter les solutions idoines », estime Ali Idrissa Nani, animateur de la société civile, président du collectif Résistance citoyenne.
Ce débat ne semble pas près d’être engagé. Elhadj Bako Mamadou, le maire de la ville fantôme de Bosso, ravagée vendredi par les djihadistes, a été interpellé pour avoir exprimé sur les ondes un avis différent de celui du gouverneur sur la situation de sa ville. Les déplacés ayant fui Bosso, Yebi et Toumour ont reçu l’ordre de ne pas parler. La presse est, pour le moment, interdite de séjour dans la région de Diffa. Mercredi matin, le gouverneur a rassemblé les chefs traditionnels pour leur demander de juguler les rumeurs qui vident la ville de ses habitants.
Dans son communiqué, publié lundi, le conseil des ministres a cru bon de dénoncer « une rumeur savamment distillée par des gens qui semblent être des alliés objectifs de Boko Haram ».
La publication Urgence Diffa, de l’association Alternative Espaces Citoyens, estime, elle, que cette phrase « montre, d’une manière très évidente, que le gouvernement aurait souhaité qu’une telle information [sur la prise de Bosso par Boko Haram] ne soit pas portée à la connaissance de l’opinion nationale et internationale. »
Urgence Diffa se félicite de l’intervention tchadienne, mais estime qu’elle peut être « interprétée comme une sorte de manque de confiance en nos propres forces ».
Investissements militaires multipliés par 15
La France, installée dans trois bases militaires au Niger, est également prise à partie, certains internautes allant jusqu’à la soupçonner d’un double jeu en faveur de Boko Haram au nom d’obscurs projets complotistes ou néocolonisateurs. D’autres se demandent où étaient les drones et les soldats français lors de l’attaque de vendredi.
« Chercher l’aide ne signifie pas l’incapacité de notre armée. Combien de fois notre armée est-elle partie secourir des pays entiers ? Elle est aujourd’hui dans toutes les forces de maintien de la paix et dans tous les pays du monde », croit savoir un internaute.
« Chaque Nigérien, chaque Nigérienne doit se considérer comme un soldat au front dans cette guerre lâche, parce qu’asymétrique, que nous impose la maudite nébuleuse », écrit le directeur du quotidien gouvernemental Le Sahel. Et Mahamadou Adamou rappelle que, « depuis 2010, notre pays a dû multiplier par quinze ses investissements militaires » et « consacre désormais plus de 10 % de son PIB aux dépenses de défense et de sécurité ».