« En termes d’efficacité répressive, la transaction pénale est un mirage »
« En termes d’efficacité répressive, la transaction pénale est un mirage »
Par Eric Alt (Vice-président de l’association Anticor) et William Bourdon (Président de l’association Sherpa)
Pour Eric Alt (vice-président d’Anticor) et William Bourdon (président de l’association Sherpa), cette procédure, qui a disparu du texte de la loi Sapin 2, présenterait l’avantage d’être discrète, d’éviter la publicité des audiences correctionnelles et permettrait d’acheter l’impunité.
le Conseil d’Etat, dans un avis transmis au gouvernement le 24 mars, a exprimé des réticences à l’égard de la transaction pénale. | BORIS HORVAT/AFP
Par Eric Alt (vice-président d’Anticor) et William Bourdon (président de l’association Sherpa)
La transaction pénale a disparu du texte de la loi Sapin 2 à la suite de l’avis du Conseil d’Etat. Celui-ci a considéré qu’en l’absence de contradiction et de débat public, l’intervention de la justice perd sa valeur d’exemplarité. La recherche de la vérité s’en trouve affectée.
En outre, la victime se trouve privée d’une participation personnelle au procès pénal et son intervention est cantonnée à une demande d’indemnisation devant une juridiction civile. Mais le Conseil d’Etat n’interdit pas de réécrire le texte. Faut-il pour autant le faire ?
Si la réponse était affirmative, la logique serait d’importer non pas cette seule mesure, mais aussi d’autres procédures, qui rendent le droit américain plus efficace dans la lutte contre la corruption.
Importons alors en droit français la possibilité de voir la responsabilité pénale d’une entreprise engagée du fait de l’action de n’importe quel salarié. Le principe du Respondeat superior généraliserait la responsabilité pénale du fait d’autrui. Celle-ci ne serait plus limitée, comme actuellement, aux seules actions commises pour le compte des entreprises, par leurs organes ou représentants.
Amendes et « class action »
Importons les amendes très élevées pour les entreprises et des peines définies en fonction de barèmes : les sentencing guidelines pour les personnes morales auraient leur version française.
Importons les procédures qui permettent à la justice de confisquer les profits tirés de la corruption (Disgorgement), d’imposer la réparation intégrale des dommages causés, de licencier les dirigeants qui ont laissé prospérer les mauvaises pratiques.
Importons la class action en matière de corruption, qui permettrait aux actionnaires de demander par exemple, l’indemnisation de la baisse de leurs actions à la suite de la révélation de poursuite en matière de corruption. Un juge américain vient ainsi d’autoriser une class action contre l’entreprise brésilienne Petrobras. Notre action de groupe est singulièrement étriquée à cet égard.
Importons la Discovery qui permet, dans une procédure civile, d’obtenir d’une entreprise qu’elle divulgue à la partie adverse tous les éléments de preuve pertinents
Rémunérer les lanceurs d’alerte
Et rémunérons les lanceurs d’alerte comme aux Etats-Unis : les whistleblowers qui ont fourni des informations déterminantes dans les affaires dont la sanction dépasse un million de dollars peuvent obtenir entre 10 à 30 % de l’amende infligée. C’est assez efficace notamment en matière fiscale. D’autant plus qu’il n’y a pas aux Etats-Unis l’équivalent du « verrou de Bercy », qui donne le monopole des poursuites en ce domaine à une autorité politique.
Voilà qui ne plairait sans doute guère aux lobbies du Medef et de l’Association française des entreprises privées (AFEP) qui manœuvrent pour réintroduire, dans la loi Sapin 2, la « convention de compensation d’intérêt public » (traduction créative de « Non Prosecution Agreement » – littéralement, « accord de non-poursuite »).
Certes, la justice française est médiocre pour la poursuite d’agents publics à l’étranger. L’OCDE l’a constaté, mais elle recommandait seulement dans son rapport de 2012 pour la France, d’allouer des ressources suffisantes aux services d’enquête, de soustraire à l’autorité politique la décision de déclassifier certaines informations classées « secret-défense », de réformer le statut du procureur de la République pour lui donner une véritable indépendance.
L’absence d’indépendance des procureurs pose effectivement à la France un vrai problème de crédibilité : l’Etat est toujours soupçonné d’intervenir dans les affaires importantes. Barack Obama a pu ironiser quand François Hollande lui demandait d’intervenir en faveur de la BNP : « Le président des Etats-Unis n’interfère pas avec les instructions judiciaires. Je ne prends pas mon téléphone pour dire au procureur général comment instruire les affaires de sa compétence. Ces décisions sont prises par un Département de la Justice qui est indépendant. Il peut y avoir d’autres traditions dans d’autres pays »…
Sanction provisionnée
Mais il ne sera pas non plus question de cela d’ici l’adoption de la loi Sapin 2. En réalité, l’objectif de la compensation pénale n’est pas de rendre la France aussi efficace que les Etats-Unis. D’ailleurs, cela ne dépend pas seulement des procédures : la possibilité pour les Etats-Unis d’interdire leur marché représente pour les entreprises un enjeu important. Ce n’est pas la même chose que d’interdire le marché français. Penser un rapport de forces entre les deux imposerait sans doute la mise en place d’un parquet européen. Mais les Etats n’en veulent pas.
Cependant, la France pourrait quand même, par les procédures et les structures mises en place par la loi du 6 décembre 2013, gagner en efficacité. Les progrès seront modestes, car les moyens nécessaires n’ont été donnés qu’en partie au nouveau parquet financier et aux services d’enquêtes spécialisés.
Mais le risque pénal pourrait augmenter pour les entreprises corrompues. Dans ces conditions, la transaction pénale présenterait l’avantage d’être discrète et d’éviter la publicité des audiences correctionnelles. Les amendes seraient négociées dans l’entre-soi des grands cabinets et de quelques magistrats spécialisés, avant une homologation formelle par un juge.
Surtout, elle permettrait d’acheter l’impunité : l’amende ne serait pas inscrite sur le casier judiciaire et aucune récidive ne pourrait être relevée. Le risque d’être sanctionné pourrait être provisionné. En termes d’efficacité répressive, la transaction pénale est un mirage : elle permettrait surtout aux entreprises et à leurs dirigeants de se soustraire à leur responsabilité pénale.
En France, la prison n’est définitivement pas faite pour les cols blancs. Aux Etats-Unis, c’est un peu différent. Mais une telle philosophie ne saurait non plus être importée dans notre pays.