Haïti : la commission électorale recommande l’annulation de la présidentielle
Haïti : la commission électorale recommande l’annulation de la présidentielle
Le Monde.fr avec AFP
Selon la commission indépendante, « le nombre de votes non retraçables a pratiquement dépassé les votes légitimes qui ont été acquis par les hommes politiques » lors du premier tour de l’élection le 25 octobre dernier.
Le président provisoire Jocelerme Privert reçoit le rapport du président la commission indépendante de vérification et d’évaluation électorale à Haïti, François Benoit, le 30 mai. | Dieu Nalio Chery / AP
La commission indépendante de vérification et d’évaluation électorale à Haïti recommande, dans son rapport remis lundi 30 mai aux autorités, l’annulation du premier tour de l’élection présidentielle, tenu le 25 octobre dernier, en raison de fraudes.
« Il serait juste et équitable que, au moins au niveau des élections présidentielles, le processus soit repris à zéro » a déclaré François Benoit, le président de la commission, justifiant cette recommandation par le fait que « le nombre de votes non retraçables a pratiquement dépassé les votes légitimes qui ont été acquis par les hommes politiques ».
Haïti est plongé dans une crise politique profonde depuis que le processus électoral a été suspendu en janvier, en raison des accusations de l’opposition de l’époque, dénonçant un « coup d’Etat électoral » fomenté par Michel Martelly, l’ancien président. Au premier tour du scrutin présidentiel, le 25 octobre, le candidat du pouvoir, Jovenel Moïse, avait recueilli 32,76 % des voix, contre 25,29 % pour Jude Célestin, qui a qualifié ces scores de « farce ridicule ».
Le rapport de la commission d’évaluation, établi après un mois d’analyse des documents électoraux, vient confirmer les accusations de fraudes formulées par l’opposition et les principales organisations de la société civile. « Certaines libertés ont été prises avec la loi, avec le processus électoral qui a créé tout une panoplie de votes zombies irretraçables », a expliqué François Benoit. « Les membres de bureaux de vote prenaient sur eux-mêmes d’imprégner les procès verbaux de leurs propres empreintes digitales », a-t-il dénoncé.
« Trafic de cartes de vote »
Selon la commission, la non-mise à jour du registre des électeurs suite au tremblement de terre de 2010, qui a causé la mort de plus de 220 000 personnes, a également entaché la fiabilité du scrutin. « Des gens disparus par mort naturelle, surtout lors du séisme, émargeaient encore dans les listes électorales » s’est inquiété François Benoit qui a par ailleurs affirmé qu’il y a eu « un trafic de cartes de vote, vendues au plus offrant. »
Si, devant cet ensemble d’irrégularités, la commission d’évaluation électorale recommande la reprise totale du scrutin présidentiel, elle ne formule aucune observation sur les élections municipales et législatives qui se sont pourtant tenues le même jour.
« La commission a livré son travail : il revient maintenant à son destinataire, qui est le conseil électoral provisoire (CEP), d’en faire bon usage pour assurer que les prochaines élections seront honnêtes, crédibles, transparentes et démocratiques, pour que le plus tôt possibles des élus légitimes puissent prendre fonction et garantir le rétablissement de la normalité constitutionnelle », a déclaré le président provisoire Jocelerme Privert en remettant le document au président du CEP.
Seule cette institution indépendante peut décider la reprise totale de l’organisation du premier tour du scrutin présidentiel, pour lequel 54 candidats étaient en lice. Plus de six mois après la tenue du vote, le suspens perdure en Haïti quant à son avenir politique.
Le mandat du président provisoire Jocelerme Privert doit s’achever le 14 juin et aucune solution n’a encore été proposée par le parlement pour gérer l’éventuel vide du pouvoir présidentiel.
La réorganisation complète du scrutin, suggérée par la commission d’évaluation, va nécessiter une dépense exceptionnelle que le pays le plus pauvre de la Caraïbe ne peut assumer seul. Pour les élections avortées de 2015, le budget de plus de 100 millions de dollars avait été majoritairement financé par la communauté internationale. Un tel coût fait débat alors que la participation citoyenne est très limitée : au premier tour de la présidentielle en octobre, moins d’un quart des électeurs avait voté.