« Sils Maria » : aux temps de la création et de la vie
« Sils Maria » : aux temps de la création et de la vie
Par Franck Nouchi (Médiateur du Monde)
Olivier Assayas offre un rôle d’une infinie complexité à l’actrice Kristen Stewart(lundi 20 juin à 20 h 45 sur Ciné+Club).
Kristen Stewart dans le rôle de Valentine. | CG CINÉMA/CAROLE BETHUEL
Olivier Assayas offre un rôle d’une infinie complexité à l’actrice Kristen Stewart (lundi 20 juin à 20 h 45 sur Ciné+Club).
Critique, auteur de plusieurs livres sur le cinéma parmi lesquels une Conversation avec Ingmar Bergman (écrit en collaboration avec Stig Björkman), on se doutait bien que le cinéaste Assayas s’attaquerait un jour à l’un de ses thèmes favoris : les rapports entre les processus de création et la réalité.
Tout commence dans un train. Accompagnée de Valentine, son assistante (Kristen Stewart), l’actrice Maria Enders (Juliette Binoche) se rend à Zurich pour y recevoir un prix. Ou plutôt pour y représenter le lauréat, le dramaturge allemand Willem Melchior. Vingt ans auparavant, Maria Enders avait triomphé au théâtre en interprétant Sigrid, le personnage d’une de ses pièces, une jeune fille au charme trouble qui conduit au suicide Helena, une chef d’entreprise plus âgée qu’elle.
Sitôt arrivée en Suisse, alors même qu’elle vient d’apprendre la mort de son cher Melchior, Maria Enders est approchée par un metteur en scène qui lui propose de reprendre cette pièce, mais en interprétant cette fois le personnage d’Helena. Après moult hésitations, elle finit par accepter. Et c’est dans le chalet où vivait Melchior, en pleine montagne, qu’elle part travailler son rôle, seule avec son assistante.
C’est peu dire que Maria a du mal à entrer dans le rôle d’Helena. Ne plus être la jeune et désirable Sigrid est pour elle une manière d’abdiquer, de renoncer à sa jeunesse. Aurait-elle tout simplement fait son temps ?
Entre passé et présent
Face à elle, Valentine se révèle être une formidable « sparring-partner ». Plus elle lui donne la réplique, plus on se dit que cette jeune Américaine, intello et bien dans sa peau, ferait une excellente Sigrid. Et puis, subrepticement, survient autre chose de plus troublant entre ces deux femmes. La confusion s’installe. Où est la pièce ? Où est la réalité ? Et si les deux finissaient par se rencontrer ? Par se mêler l’une l’autre ?
En virtuose du cinéma, Olivier Assayas ne cesse d’ouvrir des pistes. Sur l’écran, mais aussi sur iPad ou sur smartphone, explorant toutes les formes d’images, convoquant la presse people, il oppose les impératifs de la création théâtrale aux nécessités du marketing.
Il faudra attendre les trois quarts du film pour découvrir la nouvelle Sigrid : Jo-Ann Ellis, la star américaine des ados et des préados (Chloë Grace Moretz, pétillante à souhait). Pour Maria, le choc est rude. Dorénavant, l’actrice pour laquelle les médias ont les yeux de Chimène, c’est cette petite chose de rien du tout, chassée en meute par les paparazzis.
Entre classicisme et modernité, cette confrontation entre le passé et le présent n’est pas le seul sujet de Sils Maria. Et c’est là qu’il faut en venir à la performance de Kristen Stewart, à cet art inouï de jouer tout en nuances les choses les plus compliquées. Au début du film, pas de problème, elle est l’assistante archétypale d’une grande actrice, une virtuose du smartphone et des agendas. Et puis, par un glissement progressif invisible, c’est elle qui va finir, sinon par inverser, du moins par égaliser le rapport de force.
Ce n’est pas le pouvoir qui l’intéresse. Si elle agit ainsi, c’est juste par intelligence, par envie de bien faire et, ce faisant, d’inciter Maria à jouer du mieux qu’elle peut. Et quand elle se rendra compte que plus rien n’est possible, elle partira, sans un mot, vers un ailleurs inconnu.
Sils Maria, d’Olivier Assayas. Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz (Fr. - All.-Sui, 2014, 123 min). lundi 20 juin à 20 h 45 sur Ciné+Club.