Kévin Mayer, médaillé d’argent, jeudi 18 août, à Rio. | JOHANNES EISELE / AFP

Torse nu, drapeau bleu-blanc-rouge à bout de bras, Kévin Mayer savoure son tour d’honneur dans le stade olympique de Rio, jeudi 18 août. Lorsqu’il aperçoit ses frères en larmes dans les gradins, le décathlonien, nouveau ­vice-champion olympique, ne peut s’empêcher de les imiter. Soixante-huit ans après, l’athlète au physique de jeune premier succède à Ignace Heinrich, médaillé d’argent du décathlon aux Jeux de Londres en 1948.

Quelques minutes plus tôt, une fois la ligne d’arrivée du 1 500 m franchie, dernier de ses dix travaux, l’athlète français recevait les félicitations du maître de la discipline, Ashton Eaton. Au terme d’un décathlon de folie, l’Américain a égalé le record olympique (8 893 points), propriété du Tchèque Roman Sebrle depuis les JO d’Athènes en 2004. Une accolade et un échange qui pouvaient faire penser à une passation de témoin, même si les deux hommes n’ont que quatre ans d’écart (28 ans contre 24 ans). « Il m’a dit que c’était énorme ce que j’avais fait. Je lui ai dit que c’était aussi énorme ce qu’il avait fait, puisqu’il était devant moi. Que c’était mon exemple et qu’il m’inspirait énormément et que je n’hésiterai pas à le battre la prochaine fois », a confié le cadet.

« On voit la mort jusqu’au bout »

Inspiré par cette enceinte où les ­exploits se multiplient, Kévin Mayer a terminé sur les talons du désormais double champion olympique. Avec 8 834 points, sixième meilleur total de tous les temps, il s’est offert en prime le record de France, qui datait des championnats d’Europe de 1990. A l’époque, Christian Plaziat réalisait 8 574 points. Son successeur l’a amélioré de 260 points, un gouffre. « C’était pratiquement un décathlon parfait pour moi, de A à Z. Durant quatre ans, je me suis préparé pour ça. J’avais du mal à dormir tellement je m’imaginais ces dix épreuves, où j’en foirais toujours une. »

Dès mercredi, le Drômois partait sur les chapeaux de roue en battant son chrono sur 100 m (10’’81). Au final, il améliorait trois autres de ses records : au lancer du poids, au 400 m et au saut à la perche, conseillé par Renaud ­Lavillenie, champion déchu en début de semaine. « Durant ces deux jours, je me suis mis en mode Kéké transcendance, Kéké la braise. Il y a eu des épreuves où c’est passé facile, d’autres où j’ai vraiment dû me donner à fond pour y arriver », a-t-il raconté, plein de spontanéité.

Douleurs à la cheville, douleurs au genou, l’ex-champion du monde junior a dû serrer les dents. Le premier jour, gêné par son tendon rotulien et alors qu’il n’était pas prêt à s’élancer, il sacrifiait sa deuxième tentative à 2,04 m au saut en hauteur. Une fois cette barre franchie au troisième essai, il décidait de se ménager en abrégeant son concours : « J’ai clairement donné mon corps à la science pendant deux jours. J’ai du mal à marcher. C’est ça la beauté du décathlon, on voit la mort jusqu’au bout. »

Quinzième à Londres il y a quatre ans pour ses premiers Jeux, quatrième des Mondiaux de Moscou en 2013 et deuxième de l’Euro de Zurich en 2014, la progression du décathlonien a été ­linéaire. Absent pour cause de blessure des Mondiaux de Pékin en 2015, il prend clairement date pour ceux de Londres l’an prochain : « Oui, bien sûr, j’ai des perspectives. J’ai 24 ans, je suis vice-champion olympique, j’ai la sixième meilleure performance mondiale de tous les temps. Maintenant, je vais faire mon contrôle antidopage et puis je vais me remettre au travail. »

Avant de satisfaire aux obligations d’éprouvettes, un journaliste l’interrogeait sur la possibilité qu’il batte un jour le record du monde (9 045 points), détenu par le vainqueur du soir. Au même moment, Ashton Eaton passait derrière son dauphin. « They ask me if I can beat the world record », traduisait, amusé, le jeune coq. « Say yes ! », rétorquait du tac au tac le principal intéressé. Record du monde ou pas, cette rivalité naissante semble en tout cas partie pour durer.