Capture d’écran du clip « Two Americas : Economy »

Making-of d’un candidat président, acte II. Investi par le Parti républicain, Donald Trump doit endosser le costume de la respectabilité s’il veut profiter de toutes les ressources du Grand Old Party pour mener campagne. Après avoir publiquement regretté ses erreurs de communication passées, le milliardaire est en quête de crédibilité. Deux clips sortis au cours du mois d’août montrent une évolution dans sa communication. Mieux maîtrisés, ils font table rase des saillies maladroites du candidat et visent à le présidentialiser.

Bénéficiant des conseils avisés du Parti républicain, et jouant sur l’impopularité de sa rivale, ces deux publicités négatives s’attaquent aux propositions économiques et aux prises de position sur l’immigration de la candidate démocrate, Hillary Clinton.

Reposant sur une opposition classique entre l’Amérique de Mme Clinton et celle de M. Trump, le message de ces deux clips est mis en scène de façon très professionnelle : belles images, montage sophistiqué, voix off évocatrice. Le commentaire égrène des prises de position lapidaires, sans nuance, mais cite à l’appui des sources sérieuses, tout au moins en apparence. Dans le détail, beaucoup d’affirmations ne passent toutefois pas le test de la vérification d’informations le plus basique.

Références douteuses

Two Americas: Economy
Durée : 00:31

  • « Dans l’Amérique d’Hillary Clinton, la classe moyenne est écrasée »

Incontestable, le constat qui ouvre le clip « Two Americas : Economy » est partagé par la majorité des économistes américains. Mais l’étude citée à l’appui, une grande enquête du Pew Research Center, s’intéresse à la période 2000-2014 et ne dénonce ni Hillary Clinton ni aucun politique comme responsable de ce mouvement, observable depuis plusieurs dizaines d’années.

  • « Les dépenses augmentent », « les impôts augmentent »

L’accusation est soi-disant appuyée par les faits, en l’occurrence une analyse du programme budgétaire d’Hillary Clinton, réalisée par l’American Action Forum. Or ce think tank n’est pas neutre : bien qu’il se présente comme un centre de réflexion non partisan, il est dirigé par un ancien élu républicain et affiche une ligne clairement libérale en matière économique, favorable à un gouvernement le plus réduit possible.

  • « Des centaines de milliers d’emplois disparaissent »

Là encore, l’affirmation s’appuie sur un décryptage des propositions budgétaires de la candidate démocrate, faite cette fois par la Tax Foundation. Se présentant comme apolitique, cette fondation milite pour une approche stable et pro-business de la fiscalité. Dans le document cité par le clip, « Details and analysis of Hillary Clinton’s Tax Proposals », les choses sont un peu plus nuancées : les propositions de Mme Clinton sont effectivement considérées comme dangereuses pour la croissance mais il est précisé que l’essentiel de l’effort fiscal incomberait aux contribuables les plus riches.

Ces deux allégations ont été jugées tellement déconnectées de la réalité par le camp Clinton que le QG de campagne de la candidate s’est fendu d’un long et très détaillé droit de réponse. Le communiqué mentionne notamment plusieurs études « indépendantes », comme celles de l’agence Moody’s, qui tirent des conclusions différentes des think tanks conservateurs cités dans le clip.

La deuxième partie du clip montre les Etats-Unis selon Trump. Les visages sont souriant, mais la lumière est plus flatteuse. Et les références sont encore plus douteuses que dans la première partie.

  • « Des millions d’emplois créés », « les petits salaires augmentent »

Effectivement, le rapport cité, une analyse des propositions du groupe républicain de la Chambre des représentants par la Tax Foundation, prévoit 1,7 million d’emplois créés si ces propositions sont mises en œuvre.

En revanche, si le plan budgétaire de M. Trump prévoit des coupes massives dans les impôts, rien n’est explicitement prévu du côté des dépenses, alertent les analystes de la Brookings, un think tank de centre-gauche : aucun détail n’est donné sur le financement des réductions d’impôts, laissant entrevoir un dérapage potentiellement vertigineux du déficit du pays.

Des positions moins éloignées qu’il n’y paraît

Watch Donald Trump's First Campaign TV Ad
Durée : 04:04

Dans une seconde vidéo diffusée au même moment, le principe « Amérique de Trump contre Amérique de Clinton » est réutilisé sur la question, centrale chez le républicain, de l’immigration.

  • « Les réfugiés syriens arrivent en masse »

La voix off de la vidéo a beau dénoncer le fait qu’Hillary Clinton s’est prononcée pour l’accueil de 65 000 réfugiés syriens, on reste extrêmement loin des flux migratoires que peuvent connaître l’Europe et le Moyen-Orient, en premier lieu la Turquie (plus de 2,5 millions de réfugiés syriens), le Liban (plus d’un million), l’Allemagne (1,5 million)…

  • « Les immigrés illégaux condamnés restent sur le territoire »

L’affirmation s’appuie, sans plus de précision, sur les informations de NBC News du 9 juillet. Et cette fois, c’est la chaîne de télévision elle-même qui est montée au créneau, en demandant à FactCheck.org, une équipe de décrypteurs qui travaille sur l’élection présidentielle, de vérifier les déclarations.

Ces derniers rappellent que la candidate s’est prononcée en faveur de « l’expulsion des criminels violents, des terroristes et de tous ceux qui menacent la sécurité » du pays. Hillary Clinton a en revanche soutenu une loi bipartisane en 2013 qui autorise les immigrés clandestins qui ont commis moins de trois délits mineurs à rester sur le territoire, à certaines conditions. Et d’ajouter que cette même loi empêche les condamnés jugés dangereux de demander un permis de résidence ou la nationalité américaine. En cela, la position de M. Clinton n’est en fait pas très éloignée de celle de M. Trump, qui plaide dans le clip pour maintenir les « terroristes et les criminels dangereux » hors des frontières.

  • « Dans l’Amérique de Trump, les frontières sont sécurisées, nos familles en sécurité »

Curieusement, aucune étude, aucun segment d’information n’est donné pour étayer ces deux promesses.

Une campagne qui manque sa cible

Quel impact peut avoir cette campagne de communication d’un nouveau genre sur l’électorat ? Faible, estime l’universitaire américaine Kathleen Hall Jamieson, spécialiste de la communication politique et directrice de l’Annenberg Public Policy Center, de l’Université de Pennsylvanie. Le nouveau biais dans sa communication « ne compense pas l’impact dévastateur que peuvent avoir ses tweets maladroits ni ses changements de position d’une interview à une autre ».

Surtout, explique-t-elle, l’équipe de campagne de M. Trump n’a rien à gagner à produire des publicités négatives.

« Ces clips ne modifient pas l’opinion des électeurs sur des candidats qui sont déjà très connus, comme Hillary Clinton. Le problème de Trump, c’est d’être perçu comme n’ayant pas le tempérament nécessaire pour assurer la présidence. Il devrait plutôt produire des clips qui le montrent apte à la fonction, plutôt que de tirer à boulets rouges sur son adversaire. »

Par ailleurs, « ses attaques contre Mme Clinton sont déjà largement médiatisées via ses prises de parole publiques, souligne-t-elle, il n’a pas besoin de payer pour ça ». Le camp Trump vient de dépenser 10 millions de dollars (environ 9 millions d’euros) pour la diffusion du clip « Two Americas : Economy » dans une dizaine d’Etats-clés pour l’élection présidentielle du 8 novembre, et 4 millions de dollars pour diffuser le clip sur l’immigration dans quatre « swing states ». Pas facile, pour cet électron libre de la politique, de rentrer dans le rang.