Comment lutter contre le surpoids, au « coût social » comparable à celui du tabac ?
Comment lutter contre le surpoids, au « coût social » comparable à celui du tabac ?
Par Adrien Sénécat
Le Trésor a publié, jeudi 1er septembre, une étude qui souligne les effets négatifs de l’obésité pour la société et propose des mesures de lutte contre ce fléau.
En plus des conséquences sanitaires néfastes, l’excès de poids provoque un véritable coût social. | VALERY HACHE / AFP
L’excès de poids entraîne « des conséquences sanitaires particulièrement néfastes ». C’est le constat dressé par une étude du Trésor public publiée jeudi 1er septembre, qui s’intéresse aux conséquences économiques de ce problème de santé publique et propose des pistes pour y remédier, notamment en termes de taxation de l’alimentation et de prévention. Le « coût social » de la surcharge pondérale est ainsi estimé à environ 20 milliards d’euros en 2012, un montant « comparable à celui de l’alcool et du tabac ». En voici les principaux enseignements.
Près de la moitié de la population française en surpoids
Pour mesurer les risques épidémiologiques (au niveau d’une population), on utilise couramment l’indice de masse corporelle (IMC), défini en fonction du poids en kilogrammes (P) et de la taille en mètres (T) selon la formule : « IMC = P/T² ».
On considère alors en « surpoids » une personne dont l’IMC dépasse 25 et en « obésité » une personne dont l’IMC dépasse 30. Par exemple, une personne qui mesure 1,70 mètre et pèse 100 kilogrammes aura un IMC de 34,6 et sera considérée comme atteinte d’obésité.
Selon cette définition, environ 21,7 millions de Français étaient en surpoids en 2012, soit près de la moitié de la population (47,3 %), rappelle le Trésor, s’appuyant sur l’étude Obépi de l’Inserm.
Le surpoids et l’obésité progressent depuis 1997. La proportion de personnes en surpoids devrait passer de 32,3 % de la population en 2012 à 41 % selon les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quant à celle de personnes obèses, elle devrait elle aussi augmenter, de 15,1 % à 25 %.
Attention, toutefois : l’IMC a des limites importantes pour juger d’un cas individuel. Il ne prend pas en compte l’âge, le sexe ou même la musculature du patient. Un grand sportif peut donc avoir un IMC important sans risque pour sa santé. D’autres indicateurs, comme le rapport tour de taille/tour de hanche, sont utilisés pour évaluer les risques individuels.
Trois fois plus de diabètes chez les patients atteints d’obésité
Les personnes dont l’IMC est supérieur à 30 sont beaucoup plus touchées par certaines pathologies que le reste de la population. La proportion de personnes obèses qui souffrent d’une affection longue durée est ainsi 2,3 fois plus importante que dans la population en général, souligne le Trésor. Les cas de diabète et de dépression sont également nettement plus répandus.
La relation de cause/conséquence est parfois difficile à déterminer puisque certaines maladies, comme l’hypothyroïdie, « peuvent également entraîner une prise de poids », rappelle néanmoins l’étude. Reste que l’obésité serait responsable de 13 % des décès en Europe, selon un rapport de l’OMS de 2002, ce qui en fait une des principales causes de mortalité.
Un chiffre serait également sous-estimé, son calcul ne prenant en compte que les personnes obèses au moment de leur mort, et pas celle qui l’ont été, mais ne le sont plus. Selon une autre étude publiée dans The Lancet en 2014, le surpoids ferait perdre en moyenne 1,5 à huit années d’espérance de vie.
Un « coût social » de 20,4 milliards d’euros
A partir des conséquences de l’obésité sur la santé, le Trésor public a réalisé une estimation de son « coût social ». Un calcul qui prend en compte des facteurs qui vont des plus évidents, comme les dépenses de santé, aux conséquences sur l’activité économique, comme les pertes de production liées à l’obésité.
Il tient également compte du fait – certes cynique mais réel – que la mortalité plus précoce entraîne pour partie des économies, liées au non-versement de pensions de retraite par exemple.
Les surcoûts pour l’assurance maladie et les indemnités journalières (13,4 milliards) ainsi que les pertes de production (7,1 milliards) arrivent en tête de ces coûts.
A partir de ces données brutes, le Trésor a redressé les dépenses pour les finances publiques (soit toutes sauf les pertes de production et les soins non remboursés) d’un coefficient qui correspond à une perte théorique de prélèvements obligatoires. Si l’on additionne les différents coûts de l’obésité (y compris négatifs) et qu’on applique ce coefficient, on arrive à un « coût social » global de 20,4 milliards d’euros.
Un coût global comparable à celui de l’alcool et du tabac
Dès lors, il est possible de faire une comparaison sur la base d’autres études qui se sont posé les mêmes questions sur l’alcool et le tabac. Le Trésor a utilisé l’étude de l’économiste Pierre Kopp publiée en 2015, en excluant les données liées à la perte de vie et à la mortalité, ce qui permet de rester sur un périmètre « comparable » entre les trois (l’apport des taxes sur l’alcool et le tabac a été compté).
Cette comparaison globale reste approximative. D’abord parce qu’elle se base sur des estimations. Mais aussi parce que « toute personne en surcharge pondérale est incluse dans le chiffrage de l’obésité, alors que le chiffrage du tabac inclut uniquement les fumeurs quotidiens et celui de l’alcool les usagers problématiques définis dans une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies » sur la base du test Audit-C.
Le Trésor a également rapporté les coûts sociaux au nombre d’individus concernés. Dans ce calcul, la consommation de tabac et surtout celle d’alcool apparaissent nettement plus problématiques encore que le surpoids.
L’étude rappelle également une différence de taille entre les consommateurs d’alcool et de tabac et les personnes en surpoids. Concernant ces dernières, « les comportements individuels ne doivent être stigmatisés puisque (…) les causes de l’obésité sont multiples (qualité des aliments consommés, déterminants génétiques, etc.) ».
Taxation, prévention : des idées pour lutter contre le surpoids
Le Trésor propose donc plusieurs pistes pour renforcer la lutte contre l’obésité. D’abord, améliorer le système de taxation de l’alimentation, par exemple en taxant en priorité les nutriments, comme le sucre, plutôt que certains produits en particuliers, pour éviter les effets de report.
L’étude pointe toute la complexité du sujet : elle souligne à la fois que la taxation doit être suffisamment élevée pour dissuader l’achat de produits qui favorisent l’obésité et qu’il faut être vigilant face à la perte de pouvoir d’achat que cela pourrait représenter pour les ménages modestes, qui consomment plus de produits néfastes. Un problème qui pourrait être contourné par une mesure de redistribution pour soutenir le pouvoir d’achat des foyers défavorisés, ou en baissant les taxes des produits meilleurs pour la santé, sur le modèle britannique.
On constate en effet d’une manière générale que l’obésité touche principalement les personnes défavorisées et les moins éduquées :
Le Trésor propose aussi de donner plus de moyens aux professionnels de santé pour la prévention. Il regrette que les efforts actuels se concentrent « souvent sur l’alimentation », au détriment de la promotion de l’activité physique.
Il est également proposé de rendre les mauvais aliments « moins visibles », comme en incitant les entreprises à mettre à disposition des fruits dans les distributeurs ou en limitant les portions. La publicité de produits peu sains à destination des enfants est également pointée du doigt, le Trésor public en proposant l’interdiction, suivant l’exemple du Québec. Le recours à des mesures d’étiquetage nutritionnel, pour aider les consommateurs à trier les « bons » et « mauvais » produits, est également remis sur la table.