Mah Thérèse Boussoutta tient l’un des stands de viande de brousse du marché Akoa de Youpougon, en Côte d’Ivoire. | Rémi Carlier

Au maquis Les Petits Animaux de Yopougon, les coups de hachoir résonnent à nouveau depuis la cuisine. Finis les sempiternels poulets ou poissons, déclinés à l’infini, le gibier est de retour. Dans le restaurant de rue de ce quartier populaire d’Abidjan, dès midi, les clients arrivent en masse à mesure que les agoutis, biches et chauves-souris sont préparés à la sauce kédjénou (tomates et oignons). La scène, qui semble banale, aurait été impensable il y a encore quelques semaines : jusqu’au 8 septembre, la consommation de viande de brousse était passible de cinq ans de prison.

En vigueur depuis avril 2014, l’interdiction visait à contenir l’épidémie d’Ebola, qui endeuillait alors le Liberia et la Guinée voisins, et dont le gibier est souvent un porteur sain. Si le virus n’a officiellement pas passé la frontière, le coup a été rude pour les gastronomes ivoiriens, très friands des viandes issues de la chasse. « Les animaux comme le poulet ou le bœuf, on n’aime pas trop les consommer. Pour nous, si les gens vivent plus longtemps dans les villages, c’est parce qu’ils mangent de la viande de brousse », confie Monsieur Koné, les yeux pétillants en voyant passer les plats en sauce. Plaisantin, il affirme que les ministres et même le président en raffolent aussi, et ont recommencé à s’en faire livrer.

Le menu du petit restaurant Makenzy, à Kobakro, dans la banlieue d’Adidjan, en avril 2014. | ISSOUF SANOGO / AFP

Cuisines fouillées

La gérante du maquis, avenante au premier abord, est peu causante sur le sujet de « l’embargo » à peine levé. Il n’y a pas si longtemps encore, les policiers venaient fouiller les cuisines, traquant les restaurateurs qui bravaient la loi pour des clients prêts à y mettre le prix. Elle n’a toujours pas remis la pancarte de son restaurant ou affiché les menus, de peur que l’interdiction n’entre à nouveau en vigueur. « Deux ans, ça laisse des séquelles », commente un habitué.

Quelques pâtés de maisons plus loin, au restaurant Canari, les affaires peinent aussi à reprendre. « Avec l’interdiction, on a pris un coup, on n’avait plus de clients, se désole Moïse Gneto, serveur, non loin de la seule table occupée. On n’a repris nos commandes que cette semaine, mais on n’a encore rien reçu ». Son restaurant est tenu d’acheter la viande dans un élevage, contrôlé par un vétérinaire, pour éviter tout risque sanitaire, à la différence du maquis, qui s’approvisionne directement au marché. Les restaurants de rue ont aussi vite relancé leurs réseaux dormants, à peine sortis de la contrebande, ce que le Canari ne peut pas se permettre non plus.

Viande devenue trop chère

Même au marché Akoa de Yopougon, où on trouvait la viande en abondance il y a deux ans, le coup de l’interdiction se fait encore amèrement sentir. Sous l’immense hangar en tôles ondulées, plus qu’une dizaine de stands proposent du gibier. « Il y avait jusqu’à 500 femmes qui travaillaient ici, soupire Mah Thérèse Bossoutta, responsable du marché. Mais avec Ebola, on a dû tout jeter et vivre à crédit jusqu’à aujourd’hui. On n’a plus de fonds pour reprendre notre activité pour l’instant, ni de quoi satisfaire les clients. »

Avec la pénurie, les prix ont flambé. A son stand, Mah Thérèse propose de l’agouti de 10 000 à 15 000 francs CFA (15 à 23 euros) suivant la taille, contre 8 000 francs CFA environ (12 euros) avant l’interdiction. Les clients, qui font la queue, repartent donc souvent en colère, sans avoir pu s’en offrir. En attendant un retour à la normale, les poulets et carpes d’Abidjan ont encore du souci à se faire.