Le fiasco du Galaxy Note 7, révélateur des dysfonctionnements de Samsung
Le fiasco du Galaxy Note 7, révélateur des dysfonctionnements de Samsung
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Après l’arrêt de la commercialisation de son smartphone haut de gamme, le fleuron de l’industrie sud-coréenne, dont le fonctionnement quasi-militaire est critiqué, doit se refaire une réputation.
Une publicité pour les téléphones Samsung dans les rues de Berlin. | JOHN MACDOUGALL / AFP
Pour Samsung Electronics, l’arrêt de la production du Galaxy Note 7 est un véritable fiasco dont les conséquences se font déjà ressentir. Le 12 octobre, la principale branche du chaebol (conglomérat sud-coréen) a annoncé une révision à la baisse de 33 % de ses prévisions de bénéfices pour le troisième trimestre. Ils ne devraient pas dépasser 5 200 milliards de wons (4,17 milliards d’euros), contre 7 800 milliards de wons (6,3 milliards d’euros) attendus. En cause, l’arrêt décidé le 11 octobre des ventes et de la production du Galaxy Note 7.
Cette « phablette » commercialisée le 2 août se voulait le produit phare de la gamme de smartphones du géant de l’électronique. Or, près d’une centaine d’incidents, des surchauffes ayant provoqué dans certains cas l’embrasement du téléphone, ont eu raison du produit.
Signalés pour la première fois en août, les incidents avaient amené Samsung à proposer, dès le 2 septembre, des échanges. Mais le problème a perduré. L’évacuation le 5 octobre d’un avion de la compagnie américaine Southwest Airlines à cause d’un Note 7 de remplacement en feu n’a rien arrangé.
La batterie incriminée, à tort
Le groupe espérait vendre entre 15 et 19 millions de ce modèle d’ici à mars 2017. Au lieu de cela, le chaebol qui détenait, fin juin, 22,3 % du marché mondial des smartphones, va commencer, le 13 octobre, à récupérer les modèles déjà écoulés. L’opération devrait durer jusqu’à la fin de l’année. Les chaînes des usines de Gumi, en Corée du Sud, et du Vietnam vont cesser de produire l’appareil.
Au-delà de l’opération commerciale d’un montant évalué à 2 000 milliards de wons (1,6 milliard d’euros), Samsung va devoir déterminer la cause du problème.
D’après l’agence coréenne des technologies et des normes (KATS), un organisme gouvernemental dépendant du ministère du commerce, quand les premiers incidents ont été signalés les ingénieurs maisons ont immédiatement incriminé la batterie fournie par la filiale Samsung SDI. Les électrodes se trouvaient trop proches, affirmaient-ils, augmentant les risques de court-circuit. En accord avec l’organisme de régulation, ils l’ont alors remplacée par une batterie du fabricant chinois ATL.
La persistance des problèmes a montré que la batterie n’était pas en cause ou du moins pas directement. La cause du dysfonctionnement reste donc à élucider. Il pourrait venir de la conception de l’appareil. Le Note 7 est 0,3 mm plus fin que le précédent modèle, le Note 5. Et sa batterie a une capacité 20 % supérieure. Or réduire l’épaisseur d’un téléphone en augmentant la capacité de la batterie est une véritable gageure technologique.
Une commercialisation hâtée ?
Autre problème soulevé, le chaebol a voulu faire vite. Soucieux de devancer Apple qui a annoncé son iPhone 7 en septembre et commencera à le vendre en Corée du Sud le 21 octobre, le groupe pourrait avoir accéléré la commercialisation d’un produit particulièrement ambitieux, négligeant certains aspects de la qualité. « Dans sa course pour dépasser l’iPhone, estime Park Chul-wan, de l’institut coréen de l’électronique, Samsung semble avoir accumulé tant d’innovations que l’ensemble est devenu incontrôlable. »
« Peut-être faut-il regarder de près ce qui se passe au niveau de la gouvernance ? », s’interrogeait de son côté, le 11 octobre, dans le New York Times, Roberta Cozza, directrice de recherche au cabinet Gartner. De fait, le fonctionnement de l’entreprise Samsung reste considéré comme quasiment militaire, avec des dirigeants souvent âgés et peu au fait de l’évolution du marché des technologies. L’ordre vient de haut et n’est pas contestable.
Dans ce contexte se pose également la question de la perte de confiance dans une entreprise où la qualité est une obsession depuis près de trente ans, grâce à la volonté de Lee Kun-hee, dirigeant de 1987 à 2014. Après avoir succédé au fondateur du groupe, son père Lee Byung-chul (1910-1987), il a décidé de faire sortir le groupe de la logique de production de produits de qualité moyenne. « Changez tout, sauf votre femme et vos enfants », avait-il lancé en 1993 au personnel. En 1995, il avait fait détruire 150 000 téléphones défectueux pour marquer son engagement sur la qualité.
Vers une structure moins pyramidale
Formé notamment aux Etats-Unis, son fils Lee Jae-yong, qui lui a succédé en 2014, reste sur cette ligne. Et il a lancé, en mars, un grand chantier pour insuffler une nouvelle culture à l’entreprise, moins dirigiste et pyramidale, qui s’inspirerait de celle des start-up.
L’affaire du Note 7 l’oblige à restaurer la réputation d’un groupe dont l’activité représente 20 % du PIB sud-coréen. Dans un éditorial, le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo rappelait qu’il n’avait pas « fallu tant d’années pour voir Nokia [multinationale finlandaise] chuter de sa position de numéro un mondial des téléphones portables ».
Cela dit, la décision d’agir vite – qui serait également due aux inquiétudes liées à l’enquête menée aux Etats-Unis après l’incident de Southwest Airlines et dont les conclusions pourraient être sévères pour le Note 7 – est plutôt saluée par les observateurs. Avec un timide espoir. Lors du rappel de septembre, plus de 90 % des utilisateurs avaient repris un modèle Samsung.